« Inutiles », « inquiétants », « dangereux »… Les propos d'Emmanuel Macron sur Taïwan choquent à l'étranger
Dans un entretien aux « Echos », le chef de l'Etat a pris ses distances avec les Etats-Unis sur le conflit qui oppose Pékin à l'île. Une position qui ne passe pas des deux côtés de l'Atlantique. La presse dénonce « une faute » d'Emmanuel Macron.
Par Hayat Gazzane
Le timing n'aurait pas pu être plus mauvais. De retour de son voyage en Chine, vendredi, et à la veille d'exercices militaires de grande ampleur menés par Pékin autour de Taïwan, Emmanuel Macron a pris ses distances avec la position américaine dans ce conflit qui empoisonne la région. Dans un entretien aux « Echos » , le président de la République affirme refuser d'« entrer dans une logique de bloc à bloc » et exhorte l'Europe à ne pas « être suiviste » des Etats-Unis ou de la Chine sur la question de Taïwan.
Ces déclarations lui valent, depuis lundi, des critiques acerbes dans la presse internationale. Le « New York Times » estime ainsi qu'Emmanuel Macron « sape » les efforts américains pour contenir l'influence du régime chinois dans la région. Amer, le « Wall Street Journal » (WSJ) dénonce, pour sa part, dans un édito, des propos « inutiles » tenus au « pire moment ». « Monsieur Macron souhaite que les Etats-Unis volent au secours de l'Europe contre l'agression russe, mais fait apparemment voeu de neutralité face à l'agression chinoise dans le Pacifique. Merci beaucoup, mon ami », écrit le journal américain.
Plus grave, selon lui, « ces commentaires affaibliront la dissuasion américaine et japonaise contre la Chine dans le Pacifique occidental, tout en encourageant les politiciens américains qui veulent réduire les engagements des Etats-Unis en Europe pour mieux résister à la Chine », avertit le WSJ. Ce dernier se demande même si Emmanuel Macron n'« essaie pas de réélire Donald Trump ».
L'« agenouillement dangereux de Macron »
Le « Financial Times » constate, pour sa part, qu'Emmanuel Macron a fait part d'une « mollesse à l'égard de Pékin » et tenu des « critiques inquiétantes » à l'égard des Etats-Unis, « d'autant plus que Washington a soutenu fermement l'Europe dans sa lutte contre les retombées de l'invasion de l'Ukraine par la Russie », rappelle-t-il. « Macron a cherché à jouer un rôle dans la diplomatie complexe entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie, non seulement pour la France mais aussi en tant que leader de l'UE, mais il a rebuté certains alliés », résume le quotidien économique. « En particulier en Europe de l'Est », région où de nombreux pays s'identifient à la cause taïwanaise.
Emmanuel Macron was slammed for being soft on Beijing and worryingly critical of the UShttps://t.co/0iGXHNTvcX
— Financial Times (@FinancialTimes) April 10, 2023
Plus sévère encore, le quotidien allemand « Bild » dénonce un « agenouillement dangereux de Macron devant la Chine ». Le journal allemand cite le député de la CDU Norbert Röttgen, selon qui « Macron semble avoir été abandonné par tous les bons esprits. Il divise et affaiblit l'Europe avec une rhétorique aussi naïve et dangereuse ». « Le président français a-t-il perdu le contact avec la réalité non seulement dans son pays mais aussi en politique étrangère ? », s'interroge-t-il.
En Australie, le « Sydney Morning Herald » déplore un changement de stratégie d'Emmanuel Macron : « À l'automne 2018, le président Emmanuel Macron annonçait la stratégie indo-pacifique de la France. C'était un moment historique, la première fois qu'une puissance européenne effectuait une intervention politique substantielle dans le voisinage de l'Australie, destinée à placer la sécurité de la région au coeur des problèmes mondiaux. Dimanche, Macron a révélé des doutes sur l'engagement qu'il avait pris. » De son côté, le « South China Morning Post » s'interroge : « Le point de vue de Macron sur Taïwan fera-t-il pencher la balance en faveur de la Chine ? »
Le « faux pas » du chef de l'Etat
Vu de France, les propos du chef de l'Etat suscitent également l'indignation de certains titres de presse. « Sans aucune reconnaissance pour l'investissement américain massif dans la sécurité de l'Europe, notamment depuis l'invasion russe en Ukraine, le président français a cherché à exprimer une musique divergente sur Taïwan », écrit « Le Monde » . Estimant : « Le malentendu se plaide une fois. Lorsqu'il survient si fréquemment, c'est une pratique de la politique étrangère qui est en cause. »
« Pékin a déroulé le tapis rouge à Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine de mardi à samedi, mais le président français s'est pris les pieds dedans », décrypte « Mediapart » , selon qui Emmanuel Macron, « en pleine confusion diplomatique » a « trébuché », en reprenant « un argumentaire chinois ». « Vis-à-vis de Pékin comme de Moscou, Emmanuel Macron a tenté en vain la même méthode », juge, de son côté, « Le Figaro » qui parle d'un « faux pas » du chef de l'Etat. « N'est pas de Gaulle le non-aligné qui veut », souligne « Libération » .
Hayat Gazzane