« Il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas génial d’avoir des PFAS dans le sang. » La femme qui parle vient d’apprendre que des « polluants éternels » naviguent dans ses veines. Agée de 43 ans, Anne (son prénom a été changé à sa demande) vit depuis toujours à Rumilly, une ville de Haute-Savoie devenue un « hot spot » de contamination aux PFAS, les substances per- et polyfluoroalkylées.
A la fin de l’été 2022, des concentrations élevées de l’un de ces composés ultratoxiques, le PFOA, étaient détectées par l’agence régionale de santé (ARS) dans les eaux souterraines, conduisant la municipalité à couper l’alimentation en eau de 12 000 habitants. Quels niveaux d’exposition au PFOA pour ces Rumilliens ? Et quels dangers pour leur santé ? Chargée de ce type de recherches, l’agence Santé publique France ne prévoit pas de mener d’étude d’imprégnation au niveau local.
Frustré par l’absence d’initiative des autorités pour répondre à ces questions, un professionnel de santé décide d’en avoir le cœur net. Avec l’appui de l’association Agir Ensemble pour Rumilly et l’Albanais (AERA), des tests sanguins sont effectués sur cinq femmes volontaires. Un échantillon trop limité pour avoir un caractère représentatif, reconnaît sans difficulté la petite association de trente membres, qui appelle de ses vœux « une vraie étude épidémiologique ».
Cinq ans sans agir
Avec 10,7 nanogrammes par millilitre (ng/ml), les taux de PFOA d’Anne sont du même ordre que ceux mesurés dans le sérum de Fabienne (son prénom a été changé à sa demande), 47 ans, une autre habitante de Rumilly. Ces niveaux sont sept fois supérieurs à la concentration médiane de PFOA détectée au sein de la population générale en France (1,47 ng/ml) par l’étude Esteban en 2019. Ils dépassent aussi le niveau sanitaire indicatif fixé pour les femmes en âge de procréer (5 ng/ml) par l’Agence fédérale de l’environnement allemande en 2020. Si Anne se dit « surprise » et Fabienne « en colère », toutes deux expriment leur « inquiétude » pour la santé de leurs enfants mais aussi celle de la population. Et à raison.
« Les PFAS sont des poisons multi-organes, explique Philippe Grandjean, professeur émérite de médecine environnementale à l’université du Danemark du Sud et à l’école de santé publique Harvard T.H. Chan (Etats-Unis). Ils s’accumulent dans notre corps et provoquent une toxicité à de très faibles concentrations. » Autre spécialiste mondial des PFAS, Tony Fletcher précise qu’il est difficile de « convertir ces chiffres en risque ou en probabilité de maladie ». Pour cet épidémiologiste environnemental à la London School of Hygiene & Tropical Medicine (Royaume-Uni), il est cependant « préférable d’éviter toute exposition à l’origine de tels niveaux », qu’il estime « assez proches de ce que l’on pourrait attendre au vu des concentrations dans l’eau, qui sont de l’ordre de 100 ng/l. »
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