La campagne électorale, la vraie, sommes-nous tentés de dire, a commencé ce soir du jeudi 14 mars, avec la libération des leaders du Pastef dissous par le gouvernement. [L’opposant sénégalais Ousmane Sonko était incarcéré depuis juillet 2023 pour plusieurs chefs d’inculpation, dont “appel à l’insurrection”. Son lieutenant, Bassirou Diomaye Faye, avait été incarcéré en avril 2023 pour “diffusion de fausse nouvelle, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué”].

Enfin sortis de prison par la magie de la “loi Macky Sall” [loi d’amnistie votée le 6 mars] – cette loi d’amnistie, controversée, ne peut porter un autre nom –, Ousmane Sonko et son clone politique, Bassirou Diomaye Faye, sont entrés de fait dans la campagne électorale pour la présidentielle prochaine [du 24 mars].

C’est une véritable marée humaine, presque digne des soirs de victoire des Lions de la Teranga [l’équipe nationale de football du Sénégal], qui les a accueillis à leur sortie de prison, qui coïncide avec une soirée du temps de piété et de partage du ramadan. Toute chose qui n’a pas manqué d’occasionner de gros embouteillages, selon des témoins à Dakar. Certainement davantage à Ziguinchor, en Casamance, ville dont l’opposant [Ousmane Sonko], qui se dit persécuté par le pouvoir sortant, est le maire.

Une double libération qui, non seulement donnera une effervescence certaine à la campagne électorale, sans engouement véritable depuis son lancement, le samedi 9 mars, mais relancera le débat sur la liste électorale dont est écarté Ousmane Sonko, privé de ses droits civiques. Et même si, par le jeu de l’amnistie, il retrouve sa virginité, honni soit qui mal y pense, de citoyen, le patron de l’ex-Pastef ne pourra pas être réadmis sur la liste électorale, que le Conseil constitutionnel a bloquée au nombre de 19 candidats.

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Sauf tsunami, Ousmane Sonko, tout comme d’autres candidats dont celui du PDS [Parti démocratique sénégalais], Karim Wade, qui contestent devant la Cour suprême, ne pourra pas s’aligner dans la course au fauteuil présidentiel que Macky Sall doit libérer au plus tard le 2 avril.

En attendant des jours meilleurs, l’opposant, qui s’était mis déjà dans la peau du vainqueur de cette élection qui connaît un retard à l’allumage, car maintenant fixée au 24 mars au lieu du 25 février passé, devra se contenter de battre campagne pour son lieutenant, Bassirou Diomaye Faye.

Rien n’est joué

Le duo de l’ex-Pastef devra compter aussi avec la détermination d’autres insubmersibles, dont Idrissa Seck [candidat du parti libéral Rewmi – “Le pays”, en wolof –, il a été Premier ministre du président Abdoulaye Wade de 2002 à 2004], qui pensent, chacun, tous les matins en se rasant, qu’ils peuvent devenir le prochain locataire du palais présidentiel !

Questions : après plusieurs mois de tempête judiciaire et de prison, quel est le poids politique réel actuel d’Ousmane Sonko ? Son ego de grand opposant n’a-t-il pas pris un coup, avec le retour dans le jeu politique et dans la compétition électorale de têtes de proue de la politique sénégalaise, comme l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall [Parti socialiste] ?

Bassirou Diomaye Faye, le scénario qui a fait de lui candidat étant celui dans lequel son mentor était en prison, acceptera-t-il, désormais, de laisser toute la place à Ousmane Sonko, au risque de retourner dans la peau du candidat par procuration qu’il est en réalité ? Il est dit que le poste de président n’est point un banc sur lequel peuvent s’asseoir plusieurs personnes, mais un fauteuil réservé à une seule personne.

On ne saurait occulter le fait que la décision attendue ce jour de la Cour suprême sur le recours de réintégrer les candidatures retoquées par le Conseil constitutionnel pourrait bien rebattre les cartes. Mais, sauf rebondissement dont la politique a seule le secret, la juridiction, aussi suprême soit-elle, pourra difficilement déjuger les Sept Sages, dont les élections constituent le domaine réservé.

En tout cas, c’est certain, l’autre campagne électorale, la vraie en présentiel de tous les 19 candidats, vient de s’ouvrir, presque à la veille du premier tour du scrutin. Même si Ousmane Sonko, bien que pouvant respirer à nouveau l’air frais et bienfaisant de la liberté, devra ronger son frein durant cinq bonnes années pour renouer avec ses ambitions de président de la République. Le temps que le successeur de Macky Sall arrive à la fin de son bail constitutionnel.