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Interview

Loi sur la discrimination capillaire : «C’est aussi une affaire de santé publique»

Menée par le député Olivier Serva, la proposition de loi présentée ce mercredi 27 mars à l’Assemblée nationale souhaite préciser la discrimination physique basée sur «la coupe, la couleur, la longueur ou la texture».
par Miren Garaicoechea
publié le 27 mars 2024 à 7h39

Porter librement ses cheveux texturés tressés ou en locks, sans être soupçonné d’être moins professionnel. Détacher sa chevelure bouclée sans être perçue comme négligée. Pouvoir rester blonde sans redoubler d’efforts pour être considérée comme l’égale de ses collègues. C’est l’objectif d’une proposition de loi visant à reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire, examinée ce mercredi à l’Assemblée nationale. Si elle était adoptée par le Parlement, l’article 225‑1 du code pénal définissant les diverses discriminations, dont celles basées sur le physique, serait complété de la mention «notamment la coupe, la couleur, la longueur ou la texture de leurs cheveux».

Un renforcement de l’arsenal juridique nécessaire, estime Olivier Serva, député de la circonscription de Guadeloupe, membre du groupe Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), à l’initiative de cette proposition de loi, cosignée par une soixantaine de députés de tous bords – hors Rassemblement national.

Qui est concerné par les discriminations liées au style et à la texture capillaires ?

Six personnes sur dix dans le monde n’ont pas les cheveux lisses, mais des cheveux bouclés, crépus ou frisés notamment. Ainsi, deux femmes noires sur trois disent qu’elles doivent se changer de coupe de cheveux pour postuler à un entretien d’embauche, montre un sondage réalisé aux Etats-Unis par Dove, une filiale du groupe Unilever, et Linkedin.

Cette problématique ne touche pas que les noirs. Une femme blonde sur trois dit que pour progresser dans l’entreprise, elle a dû changer de couleur de cheveux en brun, pour paraître plus intelligente aux yeux de son employeur. Il en est de même pour les roux. Ce sujet peut donc toucher une majorité de Français.

Les conséquences de ces discriminations sont-elles essentiellement économiques et sociales ?

Pas que. Des études venant des Etats-Unis et de Grande-Bretagne montrent que les femmes utilisant des produits lissants ont trois fois plus de risques d’avoir un cancer de l’utérus, et une probabilité trois fois plus élevée d’avoir des fibromes. Cette semaine, en France cette fois-ci, une étude réalisée par l’hôpital de la Conception de Marseille a prouvé qu’un produit lissant pouvait abîmer les reins. C’est donc aussi une affaire de santé publique.

Pourtant, la discrimination basée sur «l’apparence physique» existe déjà dans la loi, soulignent vos détracteurs. La précision que vous souhaitez adopter est-elle vraiment utile ?

Cette loi a déjà été enrichie d’une dizaine de critères depuis 2011, c’est la logique législative française de pouvoir préciser les choses. Et puis c’est nécessaire de pouvoir nommer des phénomènes qui ne sont pas nouveaux. En novembre 2022, la Cour de cassation a rendu une décision concernant Air France. Au bout de dix ans de procédure, Aboubakar Traoré a pu avoir gain de cause après avoir perdu en première instance et en appel. L’entreprise demandait au steward de se lisser les cheveux ou de se les couper. Finalement, la Cour de cassation lui a donné raison, non pas sur le principe de discrimination capillaire mais de discrimination genrée. Il était interdit aux hommes de porter des tresses, pas aux femmes. Aboubakar Traoré est venu témoigner à l’Assemblée nationale. En tant que victime, il veut qu’on puisse nommer son mal.

Je pense aussi aux personnes en souffrance, qui ont porté leurs cheveux au naturel pour aller au travail après plusieurs mois ou années à les lisser. Certaines ont entendu «c’est Bob Marley», «tu as un paillasson sur la tête». Avec la loi, elles pourront opposer : «Ceci est une discrimination capillaire.»

Vous estimez que les discriminations capillaires sont largement ignorées en France. C’est-à-dire ?

Comme nous n’avons pas de statistiques basées sur l’ethnie, on estime que cela n’existe pas. Aux Etats-Unis, le Crown Act, une loi passée pour lutter contre la discrimination capillaire, a été adopté dans 25 Etats sur 51, mais pas au niveau fédéral. Si la loi est adoptée, la France deviendrait le tout premier pays au monde à traiter cette problématique-là au niveau national.

Cela permettra-t-il pour autant de condamner davantage les discriminations capillaires ?

Les chiffres sont terribles. Selon la Défenseure des droits française, seulement 2 % des réclamations reçues pour discrimination concernent des discriminations physiques. Or, 92 % perçoivent des discriminations reposent sur l’apparence physique, selon un baromètre de la Défenseure des droits. Autre réalité, pour 25 critères de discrimination, combien y a-t-il eu de condamnations pour discrimination en 2020 ? Zéro. Pour l’instant, cette loi est inopérante. Alors, comment faire ? En précisant certains critères, comme ici. Cet arsenal juridique supplémentaire permettra aux personnes de se faire reconnaître comme victimes.

Mais aussi en allant plus loin. C’est la proposition de loi déposée par le député Renaissance Marc Ferracci pour généraliser la pratique du «testing» pour lutter contre les discriminations, notamment lors de l’accès à l’emploi, au logement, aux prêts bancaires ou aux services publics. On sait comment faire pour condamner. Encore faut-il avoir la volonté politique.

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