Du karting dans une prison ? Il n’en fallait pas davantage pour nourrir la polémique durant tout un week-end. « Nos prisons ne sont pas des colonies de vacances dans lesquelles détenus et gardiens tissent des liens d’amitié », a estimé le député LR Éric Ciotti. « La prison doit favoriser la réinsertion mais doit-elle se transformer en centre de loisirs ? », s’est interrogé le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), qui regroupe des officiers et des commissaires de police.

C’est une vidéo, diffusée vendredi 19 août et retirée depuis par l’organisateur, qui a mis le feu aux poudres. On y voyait des images d’une olympiade organisée fin juillet au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Son nom : « Kohlantess », autrement dit le « Koh-Lanta des cités ».

« C’est lamentable de la part d’Éric Dupond-Moretti, ancien avocat, d’avoir relayé cette polémique », s’indigne Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons. Comme d’autres, celui-ci s’offusque qu’on puisse parler de « colonie de vacances » ou de « centre de loisirs » en parlant de la prison de Fresnes, un établissement où règne selon lui « une discipline extrême et qui connaît une surpopulation et une vétusté des locaux tout à fait indignes ».

Une vision de ce que doit être la réinsertion

Que dit cette polémique du regard porté dans notre société sur la détention et la réinsertion des détenus ? « Pour certains, il y a des activités qui sont légitimes au sein d’une prison et d’autres qui ne le sont pas. Cela ne pose de problème à personne qu’on favorise la lecture ou la découverte du théâtre en détention. Mais pas question de faire du karting ou un concert de rap (1) », souligne Corentin Durand, sociologue spécialisé dans les questions carcérales, membre du centre de sociologie des organisations de Sciences Po.

Selon lui, la légitimité de ce que peuvent faire ou non les détenus renvoie à la vision de ce que doit être la réinsertion. « Pour certains, se réinsérer, c’est juste arrêter de commettre des infractions ou retrouver une “bonne place” au sein de la société. Alors que selon le Contrôleur des lieux de privation de liberté, c’est permettre à chacun de choisir soi-même l’orientation qu’on veut donner à sa vie future et les moyens pour y parvenir », poursuit Corentin Durand.

« Tu as fait du mal, on va te faire du mal »

Pourquoi est-il alors si intolérable, aux yeux de certains, de voir des détenus s’amuser le temps d’un après-midi sur une piste de karting ou dans une piscine en sachant qu’ils passent la quasi-totalité de leur temps dans une cellule vétuste et surpeuplée ? « Cela renvoie au sens qu’on donne à une peine de prison. Pour certains, il faut que la peine ait un sens rétributif ou dissuasif. Dans le premier cas, l’idée est : tu as fait du mal, on va te faire du mal en prison. Dans le deuxième cas, l’idée est que la prison doit être un lieu de souffrances pour bien faire comprendre aux personnes qu’elles n’ont pas intérêt à récidiver », analyse Corentin Durand.

Tout en déplorant cette polémique, ce sociologue dénonce aussi la stratégie de communication de l’administration pénitentiaire qui a autorisé cette olympiade à Fresnes. « Pour faire oublier le problème de la surpopulation et l’indignité de la détention dans bon nombre d’établissements, elle use volontiers d’une politique de coups, en organisant des activités un peu spectaculaires avec un tout petit nombre de détenus, évidemment triés sur le volet. En général, cela fait de belles images ou de bons papiers dans la presse. Le problème est que là, avec cette histoire de karting, cela leur est revenu en pleine figure. »

(1) En 2019, un concert de rap dans la prison de Nice avait suscité l’indignation du Rassemblement national.