Il faut de la violence pour faire la guerre. Il en faut aussi pour construire la paix. Ce constat, entendu la semaine dernière lors d’un débat sur France Culture, semble effectivement assez juste. La guerre est une violence contre l’autre. La paix, une violence sur soi, la capacité à aller au-delà du ressentiment. Dans le premier cas, il y a violence physique, destruction et mort. Dans le second, c’est une violence intérieure, une maîtrise de ses passions.

Les passions, justement, le site Le Grand Continent a eu la bonne idée de rééditer un texte écrit en novembre 2002 par le philosophe roumain naturalisé français Pierre Hassner, après les attentats du 11 septembre 2001, sur le danger de se laisser emporter par les passions. Souvenons-nous. À l’époque, les États-Unis n’avaient qu’une idée en tête, se venger. Cela pouvait être compréhensible, humain, mais la vengeance, outre qu’elle pose des questions éthiques, n’est généralement guère productive sur le plan des résultats.

L’erreur du 11 septembre

C’est en ce sens que les Français, après le 11-Septembre, avaient tout fait pour convaincre leurs alliés américains de ne pas provoquer une guerre en Irak. En vain. Au fondamentalisme criminel de Daesh, les États-Unis ont alors opposé une forme de messianisme, convaincus de représenter le camp du bien. On était passé d’une logique démocratique à celle de la croyance. D’un côté comme de l’autre, l’irrationnel l’emportait.

Le terrorisme, c’est l’acte de chasser les populations civiles, les terroriser en passant outre à toutes les restrictions que la religion, la morale et le droit international ont bâties, à commencer par la distinction essentielle entre combattants et non-combattants. Il appelle naturellement la vengeance. Tout le travail de Pierre Hassner fut alors de déconstruire cette volonté de vengeance, à partir d’une analyse des passions, les « mauvaises passions » qui peuvent finir par l’emporter. Car ces événements, explique-t-il à propos du 11-Septembre, ne sont pas seulement des crimes meurtriers, des actes terroristes, et de guerre. « Ce sont des défis jetés à la politique, à l’idée et même à la possibilité de la politique. »

Les explosions de violence et de haine actuelles rappellent malheureusement que les sources intérieures, et passionnelles, sont toujours là. Elles sont, dans le cas du Hamas, provoquées par des années d’humiliation impuissante devant la répression chez les Palestiniens, alimentant tous les jours la montée aux ­extrêmes.

La vengeance inutile

En 2002, Pierre Hassner avait vu les dangers de l’engrenage des violences, et critiqué les ­réponses des États-Unis au 11-Septembre. C’est bien sûr pertinent aujourd’hui encore. La vengeance n’amène rien de bon. On connaît la phrase attribuée à Gandhi : « Œil pour œil, et le monde finira aveugle… »

D’ailleurs, par un ironique retournement de l’histoire, Joe Biden est venu en Israël demander aux responsables israéliens de ne pas se laisser emporter par leur passion, de ne pas répéter les erreurs de 2001. Il ne faut pas entrer dans le scénario de l’agresseur, mais plutôt changer le scénario a-t-il expliqué en substance. La manière terrible et macabre dont le massacre des civils israéliens a été mis en scène n’a que cet objectif : pousser à la vengeance, à exiger le prix du sang. Mais la vengeance n’est pas une politique, la cruauté non plus. C’est bien le terrible piège, celui de la passion de la haine, tendu par les terroristes. Pierre Hassner va plus loin. Il y a la passion qui tue et emmène dans un cycle infernal de violence. Mais en face, loin d’y renoncer, il faut opposer la passion politique pour la démocratie, pour la justice, « la passion pour du bien », comme le disait Simone Weil, une passion guidée par ce que Tocqueville appelle le « goût sublime de la liberté ». Croire passionnément en une solution politique, pour ne jamais renoncer à inverser les abîmes du mal.