«Ni Le Pen ni Macron», «La révolution est un devoir», «Sorbonne occupée». C’est un entre-deux tours mouvementé jusque sur les bancs de la fac et des grandes écoles. Depuis ce mardi 12 avril, des étudiants dits «antifascistes» font entendre leur colère et leurs revendications après les résultats du premier tour, notamment à Paris. Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria, 42% des 18-24 ans ne sont pas allés voter au premier tour de l’élection présidentielle. Chez les jeunes, les votes se sont à 31% portés vers le candidat Insoumis, Jean-Luc Mélenchon. À la Sorbonne, les étudiants ont intensifié leur mobilisation depuis ce jeudi matin. Des dégradations importantes ont eu lieu dans les salles de classe mais aussi sur le bâtiment classé monument historique de la Sorbonne.

Ce vendredi matin, Marine Le Pen a réagi au micro de BFM TV et RMC. «Ils ont séché le cours démocratie ou quoi? Ils ont séché? Ils faisaient quoi? Ils sont partis en week-end?», a-t-elle déclaré, estimant «inquiétant» que des étudiants de Sciences Po soient également melés à ces blocages, «parce que ce sont ceux qui étudient notre système démocratique, nos institutions.» La candidate à l’élection présidentielle a précisé: «Ils devraient plutôt faire des campagnes pour inciter les jeunes à aller voter.» Emmanuel Macron a également déploré ces blocages. «Je pense que la démocratie est faite de règles. Si on se met à contester toutes les règles, ça devient l’anarchie», a-t-il affirmé sur France Info.

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Jeudi matin, un rassemblement s’est tenu à partir de midi place de La Sorbonne, en face de l’établissement. Selon la préfecture de police, 400 étudiants étaient réunis. Leur objectif: entrer dans l’université pour participer à l’assemblée générale qui a eu lieu à 13 heures. À 11h15 déjà, une dizaine de camionnettes de policiers stationnait devant le prestigieux lycée Louis-Le-Grand. À 12h20, le slogan «Sorbonne, Sorbonne, antifa» est scandé par des étudiants, à l’entrée de la rue Victor Cousin, bloquée par les policiers. La traversée est impossible.

En début d’après-midi, la température est montée. Dans une vidéo postée sur Twitter, le journaliste militant Taha Bouhafs a filmé des étudiants au premier étage de la Sorbonne en train de jeter des chaises sur les fourgons de police. Des livres et extincteurs ont également été lancés. Les forces de l’ordre ont été contraintes de déplacer leurs véhicules plus loin dans la rue pour éviter les projectiles. Les images ont ensuite montré des policiers repoussant les étudiants sur place à l’aide de gaz lacrymogènes. Des barrières de sécurité ont été installées pour tenir les jeunes éloignés de l’entrée de la fac.

«Toutes les portes sont fermées»

Certains étudiants ont passé la nuit de mercredi à jeudi dans le campus. «Toutes les portes sont fermées», a témoigné une étudiante qui voulait travailler ses examens ce matin-là. Les journalistes ne sont pas les bienvenus. Un confrère de France Télévisions a été insulté par un occupant cagoulé, munié de lunettes de soleil. «Pose ta caméra, enc...». Les étudiants indiquent qu’ils votent l’entrée des journalistes. «Vous ne pourrez pas rentrer», nous dit-on. Dehors, Mathilde, 20 ans, raconte qu’elle était présente à l’intérieur mercredi. «C’était surréaliste. Il y avait une super ambiance, avec quelqu’un qui jouait du piano.»

Pour la maire du Ve arrondissement, Florence Berthoux, les dégradations de la faculté sont désolantes. «On ne peut que déplorer, qu’etre triste à chaque fois que la violence l’emporte. Je ne vois pas quel est l’acte poltique de s’en prendre à la chapelle de la Sorbonne. Surtout que les réparations se feront aux frais du contribuable», partage-t-elle au Figaro Etudiant. «Mais je pense que, comme à chaque fois, ces blocages sont organisés par une minorité très agissante, très perméable aux thèses ultra qui agissent. Derrière, il y a ceux qui suivent. Une partie considère d’ailleurs que les dégradations ne sont pas acceptables.»

Jeudi soir, une partie des étudiants ont finalement quitté les lieux, tandis que d’autres étaient toujours sur place. Une vidéo circulait sur les réseaux sociaux affirmant que quarante étudiants étaient toujours dans l’université, retenus par la police. Une source policière a confirmé à l’AFP qu’il restait encore des étudiants à l’intérieur, sans préciser leur nombre ni la raison de leur présence.

Ce vendredi midi, l’ambiance était bien plus calme devant Panthéon-Sorbonne. Une trentaine d’étudiants s’est mobilisée devant le campus. En début d’après-midi, plusieurs d’entre eux sont partis en direction de l’université de Nanterre, où est prévue une assemblée générale à 15 heures. «L’enjeu est qui y ait beaucoup de monde, mais je ne peux pas prédire combien d’étudiants seront présents. L’université a fermé depuis 13 heures parce qu’elle a peur que la situation puisse dégénérer cet après-midi. La logique est que notre réunion se passe bien et que l’on appelle à la manifestation de samedi à Nation à 14 heures», note Hugo Pierson, représentant de l’Unef à Nanterre. Le même jour, le campus de Sciences Po Lyon était bloqué.

Des cours en distanciel jusqu’à la fin de la semaine

Les partiels approchant, beaucoup ont peur de voir leurs cours interrompus. C’est le cas de Tiphaine*, 19 ans et ses camarades qui suivent leurs cours à distance. Ils ont été informés mercredi soir par deux mails de l’université Panthéon-Sorbonne. Un premier courrier leur indique: «Nous vous informons que, sur décision du rectorat, les activités se tenant en Sorbonne pour le reste de la journée du 13 avril sont suspendues en présentiel.» Un autre mail les informe plus tard dans la soirée que l’université a décidé «de basculer en distanciel l’ensemble des enseignements prévus jusqu’au samedi 16 avril 2022 inclus afin de garantir notamment la continuité pédagogique pour l’ensemble de nos étudiantes et étudiants». Jeudi, selon un mail de l’université transmis par un enseignant-chercheur au compte Twitter «Etudiants en confinement», dès ce vendredi, «les cours et examens prévus à Censier passent en distanciel et ce jusqu’à la fin des enseignements du second semestre, soit le samedi 23 avril».

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Une décision qui agace Tiphaine. «J’espère que les occupants font cela pour discuter de leurs convictions et non pas pour ne pas aller à leurs partiels. Ce qui me dérange, surtout, c’est d’entendre des insultes envers les candidats. Je ne cautionne pas la violence quand on entend des gens dire “Macron xénophobe”», partage l’étudiante en licence 1 de sciences politiques.

Etudiant en licence à Paris I Panthéon, Antoine* a aussi vu, à l’approche des partiels, tous ses cours passer en distanciel. Sauf son cours d’économie, que le professeur a choisir de maintenir en présentiel dans un «tiers lieux». Ces espaces d’un genre nouveau, permettant aux étudiants de s’engager autrement et de favoriser le lien social, l’intégration et l’esprit de communauté, se sont fortement développé pendant la pandémie. C’est dans les locaux d’une antenne de la Caisse d’allocation famililale (CAF) qu’Antoine a pu suivre son cours d’économie. «C’était incroyable! raconte-t-il. Mille fois mieux que la fac, super moderne, avec plein d’arbres, des grandes tables, des chaises confortables et un babyfoot. Toute la classe est venue alors que c’était facultatif!»

«Macron, démission, laisse ta place à Mélenchon»

À Sciences Po aussi, les étudiants se sont rassemblés, ce jeudi matin. «Macron, démission, laisse ta place à Mélenchon», «Non à l’extrême droite», «Pas de fachos dans nos universités». Dès 9 heures, la rue Saint-Guillaume a été très mouvementée. Devant Sciences Po, des camions de police se sont garés pour surveiller les dizaines de jeunes venus bloquer l’établissement. Certains ont brandi des banderoles. «Saint-Germain en feu, Macron et Le Pen au milieu», «Féministes antifascistes», «Stop à l’inaction climatique». Une assemblée générale a aussi été organisée à 13 heures devant le campus. «On ne peut pas mettre Le Pen et Macron sur le même plan. Le Pen est une raciste et une xénophobe», lance l’Unef au mégaphone. Un autre étudiant prend la parole: «Ce n’est pas avec Macron qu’on dégagera l’extrême droite, c’est en se mobilisant dans la rue.» «Rejoignez-nous à la Sorbonne, parce qu’on risque de se faire déloger plus vite. Il faut bloquer d’autres campus», ajoute une autre.

Vers 15h30, devant le campus rue Saint-Guillaume, 30 à 40 militants d’extrême-droite, membres de la Cocarde Etudiante, de l’Action française, de l’Uni et de Génération Z ont décidé d’évacuer le «blocus (...) par [leurs] soins», indique le tweet de la Cocarde Etudiante. La vidéo les montre, fumigènes à la main, en train de renverser les poubelles pour mettre un terme à la mobilisation. Baptiste, 22 ans, étudiant en 3e année syndiqué à Solidaires Sciences Po, affirme auprès de l’AFP qu’ils étaient munis de «manches de pioche, de parapluies et de gazeuses à main». Il ajoute que les étudiants présents sont partis en courant, sans qu’il n’y ait de blessés.

Les étudiants du campus du XIVe arrondissement de l’École normale supérieure sont également révoltés. Aux fenêtres, une banderole rouge et noire affiche: «Jeunesse révoltée, fac occupée». «Le but est de mener des actions pour réinventer les universités, pour en faire une vraie scène d’émergence de cette voix des jeunes et qu’elle soit plus représentée dans les débats chez les deux candidats», a souligné auprès de l’AFP Martin Labat, étudiant en licence de sciences pour un monde durable. «On a trop peur qu’ils ne prennent pas en compte les sujets qui nous semblent capitaux tels que les violences racistes, islamophobes, sexistes, le climat et l’urgence à agir face au rapport du Giec notamment», a-t-il ajouté, précisant que quelque 80 étudiants étaient présents lundi, puis 40 mardi.

*Les prénoms ont été modifiés.