La sécheresse et les canicules de 2022 ont montré que « la France n’est pas prête à faire face », constate le Haut Conseil pour le Climat

Un ponton habituellement sur l’eau, au lac de Serre-Ponçon, à l’été 2022.

Un ponton habituellement sur l’eau, au lac de Serre-Ponçon, à l’été 2022. THIBAUT DURAND / HANS LUCAS VIA AFP

Décryptage  Cet organisme indépendant, chargé d’évaluer la politique climatique de la France, juge le rythme de baisse des émissions de CO₂ toujours « insuffisant ».

L’an dernier, lors de la présentation de son très attendu rapport annuel, le Haut Conseil pour le Climat avait appelé le gouvernement à un « sursaut » de l’action climatique. Douze mois après, ce sursaut se fait encore attendre, si l’on en croit les principales conclusions du nouveau rapport que publie ce mercredi 28 juin cet organisme indépendant chargé d’évaluer la politique de la France en matière de climat.

Certes, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué en France en 2022 de 2,7 %, grâce à de fortes baisses dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie. Mais ce recul résulte en partie de « facteurs conjoncturels », notamment un hiver doux qui a réduit les besoins en chauffage, soulignent les treize experts de l’institution – parmi lesquels figurent Valérie Masson-Delmotte, Jean-Marc Jancovici ou encore Laurence Tubiana.

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Surtout, le rythme de baisse reste « insuffisant » pour atteindre les objectifs que la France s’est donnés. Alors que l’ambition fixée au niveau européen vise une réduction 55 % des émissions d’ici à 2030, la France est loin du compte : pour y parvenir, il faudrait qu’elle double son rythme actuel de baisse de ses émissions de CO2 ! « La France a dépassé la politique des petits pas, mais elle n’avance pas encore au pas de course », résume Corinne Le Quéré, la présidente du HCC.

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En fonction du scénario du partage de l’effort entre secteurs qui sera déterminé prochainement par le gouvernement, le HCC estime qu’il faudrait que le rythme de baisse des émissions soit multiplié par un facteur 3,5 à 5 pour les secteurs des transports et de l’énergie ; 1,25 à 3,5 pour l’agriculture ; 1,4 à 1,6 pour l’industrie ; 1,6 à 1,9 pour les déchets…

La trajectoire préoccupante des transports

Si « aucun secteur n’est un bon élève », celui des transports affiche la trajectoire la plus préoccupante, ses émissions ayant encore augmenté en 2022 (+2,3 %), dans la poursuite du rebond post-Covid-19. La consommation des véhicules thermiques croît du fait de l’augmentation de la taille des voitures, expliquent les experts du Haut Conseil, regrettant que le poids des véhicules soit peu contraint, « ce qui n’oriente pas l’offre vers des véhicules légers, peu émetteurs, sobres dans l’utilisation de matériaux, et abordables ».

Le constat est identique sur l’électrification. « Réduire la taille et le poids des véhicules électriques est un enjeu clé, à la fois pour réduire les émissions du secteur, mais également pour produire des véhicules plus abordables – un enjeu clé pour la transition juste – et pour réduire les tensions sur les matériaux critiques nécessaires à leur construction », plaide le HCC. Or, selon l’instance, malgré des améliorations récentes, les politiques de soutien à l’acquisition de voitures bas carbone « restent excluantes et aggravent les inégalités ».

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Le Haut Conseil pour le Climat identifie d’ailleurs l’absence sur le marché de véhicules électriques abordables comme une difficulté majeure en vue de la mise en place des ZFE, ces zones à faibles émissions qui suscitent un vent de fronde croissant.

« Alors qu’il faudrait disposer d’une offre importante de petits véhicules à bas prix, si possible électriques, les constructeurs se sont recentrés sur le haut de gamme à forte valeur ajoutée, poussant le prix des voitures à la hausse. L’Etat peut ici jouer un rôle pour inciter les constructeurs à proposer davantage de petits véhicules électriques, plus abordables, en renégociant son soutien global à la filière automobile. »

Des forêts qui absorbent moins de CO2

Autre mauvaise nouvelle évoquée dans ce rapport : les puits de carbone naturels, essentiels pour atteindre la neutralité carbone, puisqu’ils permettent d’absorber une partie des émissions de gaz à effet de serre, sont en net déclin. La quantité de carbone stockée par les puits de carbone français a diminué de 21 % en 2021 par rapport à 2020 !

Arbres et fougères dans une forêt de pins.

Arbres et fougères dans une forêt de pins. MATHIEU THOMASSET / HANS LUCAS VIA AFP

La raison principale : le changement climatique. Avec les températures toujours plus élevées et l’intensification des sécheresses, la croissance forestière ralentit, la mortalité des arbres augmente, tout comme les dommages liés aux incendies. Si les chiffres ne sont pas encore connus pour 2022, « tout laisse à penser que cette baisse va se poursuivre », s’inquiète Jean-François Soussana, membre du Haut Conseil pour le Climat.

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Un constat inquiétant, qui converge avec celui que vient d’établir l’Académie des Sciences. Selon une étude parue il y a quelques semaines sur le sujet, les forêts françaises absorbent deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans, et, au rythme actuel, elles pourraient bientôt émettre plus de carbone qu’elles n’en absorbent. Déjà, plusieurs régions n’absorbent quasi plus de carbone ou sont même déjà émettrices de CO₂, comme le Grand-Est, la Corse et les Hauts-de-France.

Cet effondrement vient compliquer encore un peu plus l’équation, la France ayant fait de la capacité des forêts à stocker des quantités massives de CO2 un élément majeur de sa stratégie pour atteindre la neutralité carbone. En prenant en compte cette faible absorption, le budget carbone est ainsi en voie d’être dépassé sur la période 2019-2022…

Des dépenses « brunes » trop élevées

Dans son rapport, le Haut Conseil pour le Climat se penche également sur les dépenses publiques, et l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre de plusieurs dispositifs fiscaux. En partie du fait du bouclier tarifaire, mis en place par le gouvernement pour faire face à la hausse des prix de l’énergie, les dépenses défavorables au climat ont fortement progressé en 2022, observe l’instance. A lui seul, le bouclier tarifaire représente près de 43 milliards de dépenses publiques en 2023, et près de 80 milliards cumulés entre 2021 et 2023 !

En plus d’avoir un coût significatif pour les finances publiques, d’être antiredistributif, il a bénéficié directement à la consommation d’énergies fossiles (gaz, fioul, carburants), regrette le HCC, qui appelle le gouvernement à le supprimer.

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« Dans une perspective d’efficacité climatique et sociale, il conviendrait de mettre fin au bouclier tarifaire dans sa forme actuelle, en le remplaçant par des aides ciblées sur les ménages les plus vulnérables. »

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Quatre autres dispositifs fiscaux ayant un impact potentiellement significatif sur les émissions de CO2 sont dans le viseur du HCC : les taux réduits sur le kérosène des avions, le taux réduit pour le diesel par rapport à l’essence, la TVA réduite sur les billets d’avion et le taux réduit pour le carburant du transport maritime. Accélérer la transition passe par la mise en place d’un calendrier de réduction et de suppression des niches fiscales correspondant à des subventions aux énergies fossiles, martèlent les experts.

Côté dépenses « vertes », le bilan est mitigé. Les investissements favorables au climat ont fortement augmenté en 2021. Les montants publics et privés investis s’élèvent à 84 milliards d’euros en 2021, soit une augmentation de 18 milliards par rapport à 2020. Mais cette hausse reste fragile, tempère le HCC, « le caractère pérenne de cette hausse n’étant pas assuré ». Quant aux dépenses de l’Etat favorables à l’environnement, elles devraient certes augmenter en 2023, mais si l’on exclut le plan de relance elles sont en recul.

Alors qu’un récent rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz a souligné que l’atteinte de la neutralité carbone exige des dépenses colossales, les investissements climat actuels apparaissent largement insuffisants, écrit le HCC, qui réclame une « politique économique d’ampleur » nécessitant des financements publics « de l’ordre de 30 milliards par an d’ici 2030 ».

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2022, année « emblématique » de ce qui nous attend

Enfin, le Haut Conseil revient longuement dans son rapport sur l’année 2022, qui fut exceptionnellement chaude (l’anomalie de température a été de + 2,9 °C) et sèche (le déficit de précipitations a atteint 25 % par rapport à la période 1991-2020). Avec des impacts graves en cascade sur les personnes, les activités économiques, les infrastructures et les écosystèmes.

Anomalie de température 
en moyenne annuelle observée en France métropolitaine (HCC ).

Anomalie de température en moyenne annuelle observée en France métropolitaine (HCC ).

Les faibles précipitations, couplées aux fortes températures, ont induit une sécheresse des sols superciels exceptionnelle pour les trois quarts du territoire métropolitain de juillet à septembre 2022, la production agricole a subi des baisses de rendement de 10 à 30 %, la production hydroélectrique a été l’an passé de 20 % inférieure à la moyenne sur la période 2015-2019, et plus de 2 000 communes ont été proches de la rupture d’approvisionnement en eau potable, constate le HCC, qui évoque aussi la surmortalité liée à la chaleur.

Carte représentant les impacts des événements climatiques 
constatés en 2022 (HCC).

Carte représentant les impacts des événements climatiques constatés en 2022 (HCC).

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Malgré un engagement exceptionnel de moyens de gestion de crise, les dispositifs mis en place n’ont pas permis d’éviter toutes les conséquences météorologiques et climatiques, soulignent les treize experts. « Emblématique de l’intensification des impacts du changement climatique », l’année 2022 est ainsi venue rappeler que la France est particulièrement exposée aux conséquences du réchauffement climatique, mais aussi qu’« elle n’est pas prête à y faire face ». « On a été dépassé », estime Corinne Le Quéré.

Si une accélération du rythme de baisse des émissions de CO2 est indispensable, la mise en place de mesures d’adaptation est donc tout aussi essentielle. La température record de 2022 deviendra une moyenne en France à l’horizon 2050-2060 et, selon les projections, un réchauffement de près de 2 °C dès 2030, avec une fourchette haute à 2,3 °C, est désormais pratiquement inévitable pour la France.

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Le Haut Conseil pour le Climat en pleine restructuration

Soupçons de complaisance, manque de moyens, cas de souffrance au travail… Le Haut Conseil pour le Climat (HCC) a traversé l’an dernier une forte zone de turbulences. Comme « l’Obs » l’avait raconté en février, le rapport 2022 a été adopté dans un climat tendu, sur fond de suspicions d’une reprise en main par l’exécutif. Quant aux analystes qui composaient son secrétariat, la quasi-totalité a été poussée vers la sortie par Said Rahmani, le directeur exécutif du HCC, et Corinne Le Quéré, sa présidente… Résultat : les effectifs de cet organisme indépendant, créé en 2018 par Emmanuel Macron pour servir de vigie de l’action climatique en France, étaient alors si rabougris que la parution du prochain rapport annuel semblait bien incertaine, faute de petites mains pour le rédiger.

Finalement, le rapport est bien là (voir ci-dessus), mais la structure fonctionne toujours avec des moyens limités, la réorganisation lancée par la direction prenant plus de temps que prévu. Depuis janvier, seuls un directeur adjoint (Sylvain Mondon, venu de Météo-France) et deux chargés de mission – l’un sur l’agriculture, l’autre sur l’énergie – ont été recrutés, portant l’effectif du secrétariat à six personnes. Les deux chargés de mission étant arrivés tardivement, le rapport annuel 2023 a été en partie rédigé avec l’aide de deux stagiaires venus renforcer ponctuellement l’équipe. La climatologue Corinne Le Quéré assure que sept nouveaux recrutements devraient bientôt suivre, « pour des prises de poste prévues entre la mi-août et la fin octobre ». La publication d’un rapport spécial sur l’agriculture, plusieurs fois reportée, devrait intervenir « d’ici la fin de l’année ». S.B.

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