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En grèveContre la réforme des retraites, c’est reparti comme en 19 ?

Réforme des retraites : La mobilisation sera-t-elle aussi suivie qu’en 2019 et 2020 ?

En grèveSi le sujet des retraites est l’un des plus rassembleurs en termes de contestation, la société française est passée par de nombreuses épreuves depuis 2019
Des manifestants français défilent dans une rue de Paris lors d'une manifestation contre la réforme des retraites du gouvernement le 24 janvier 2020.
Des manifestants français défilent dans une rue de Paris lors d'une manifestation contre la réforme des retraites du gouvernement le 24 janvier 2020. - Alfred Photos / SIPA
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Les huit principaux syndicats français appellent à la grève le 19 janvier prochain pour contester la réforme des retraites dévoilées par le gouvernement mardi dernier.
  • De nombreux secteurs et professions ont annoncé suivre cet appel à la grève qui va s’inscrire dans la durée, selon les responsables syndicaux.
  • Mais à quel point la société française est-elle prête à se mobiliser ? La contestation sera-t-elle aussi suivie qu’en 2019 ? Eléments de réponses avec un historien des mouvements sociaux, un sociologue et un responsable SUD-Rail.

L’année 2019 paraît déjà bien loin. Une pandémie, la guerre en Ukraine, une campagne présidentielle, etc. Beaucoup d’événements marquants ont éclipsé cette grève pourtant mémorable de la fin 2019-début 2020 pendant laquelle la SNCF et la RATP ont battu leurs records de jours de grève consécutifs avec respectivement 53 jours et 49 jours. Déjà à l’époque, c’est une réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron qui avait provoqué la colère de nombreux secteurs.

La nouvelle réforme des retraites, menée par Elisabeth Borne, engendre là encore une large contestation. L’ensemble des huit syndicats principaux - et même la CFDT - s’unissent pour une première journée d’action le jeudi 19 janvier. Un mouvement qui se veut « puissant », selon les syndicats des transports, et inscrit « dans la durée ». Il a déjà été rejoint par la fonction publique, le pétrole, l’énergie (gaz et électricité). Alors faut-il s’attendre à un blocage du pays comme en 2019 ? Impossible de le prévoir, mais une chose est sûre : la société, la situation politique, le climat sont « très différents et les inquiétudes se localisent autrement », remarque Michel Wieviorka, sociologue, directeur d’études à l’Ecole de hautes études en sciences sociales (EHESS), interrogé par 20 Minutes.

Un sujet de grandes mobilisations

1995, 2003, 2010, 2014, 2019… Ces années ont un point commun : elles ont été le théâtre de mouvements sociaux d’ampleur menés contre des réformes ou tentatives de réformes des retraites. C’est un sujet sensible en France et particulièrement mobilisateur pour les salariés. Pour Fabien Dumas, secrétaire fédéral à SUD-Rail, interrogé par 20 Minutes, ces soulèvements s’expliquent par le fait que « les gens ont besoin de se projeter mais qu’à chaque fois, ils n’en voient pas le bout car on n’arrête pas de modifier l’accès à leurs droits ». Et les citoyens se sentent concernés. Ça les touche directement. « Ils savent exactement, avec l’âge de départ, ce que ça va leur coûter, chacun peut savoir ce qui va lui arriver », abonde Michel Wieviorka. En effet, il y a eu quasiment trente ans de revendications depuis la tentative loupée d’Alain Juppé.



Cette année encore, la lutte s’annonce massive, malgré les prédictions d’Olivier Véran. Même si c’est impossible de prévoir le suivi du mouvement de grève, la durée dans laquelle il va s’étendre, « selon toute vraisemblance, la mobilisation devrait être significative » car cette réforme présentée par Elisabeth Borne « est une double peine », juge auprès de 20 Minutes, Stéphane Sirot, historien spécialiste des syndicats et des mouvements sociaux. Contrairement aux précédents projets, celui-ci touche à deux points chatouilleux : l’âge de départ et la durée de cotisations. En ce sens, « c’est une réforme plus dure socialement », poursuit l’historien. D’autant que les syndicats avaient prévenu le gouvernement : pas touche à l’âge de départ, identifié alors comme la « ligne rouge », souligne Michel Wieviorka. « A partir du moment où elle est franchie, ce n’est pas possible de ne pas réagir », ajoute-t-il.

L’importance de la forme du mouvement

Concernant l’ampleur de la contestation, tout dépendra de la forme que va prendre le mouvement. Si les syndicats, dont ceux des transports ferroviaires, souhaitent l’inscrire dans la durée, des journées d’action ponctuelles seront moins efficaces qu’une grève reconductible au jour le jour. « Le choix des modalités d’action posera une difficulté, les syndicats ne seront pas forcément tous sur la même position et l’intersyndicale peut aussi se trouver contrainte par les remontées du terrain, rien n’est dit sur la manière dont la mobilisation va s’inscrire dans la durée », souligne Stéphane Sirot. Du côté de SUD-Rail, la grève reconductible n’est en tout cas pas exclue, selon Fabien Dumas. « On va monter en puissance, on ne s’interdit rien et je pense que ça finira par une grève reconductible », assure le syndicaliste. En effet, pour l’historien, « les journées d’actions ponctuelles n’ont plus réellement d’effet sur les gouvernements » alors que « quoiqu’il arrive, ils sont obligés de réagir face à un mouvement reconductible ». En 2019, le gouvernement avait d’ailleurs été poussé à faire des concessions sur son projet de réforme à points.

La durée du mouvement sera aussi un élément important. Mais avec l’accord tacite passer entre le gouvernement et Les Républicains (LR) pour voter la réforme, le calendrier pourrait s’accélérer. « Quand les choses vont très vite, ce n’est jamais facile pour une mobilisation », note ainsi Michel Wieviorka. Selon l’analyse de Stéphane Sirot, « le fait d’avoir trouvé cet accord avec LR s’inscrit d’ailleurs dans la stratégie du gouvernement afin d’accélérer le calendrier. » Et le risque, c’est qu’une fois que le projet de loi est voté, « le mouvement prenne fin », concède Fabien Dumas.

Une société transformée

Depuis 2019, la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, l’inflation sont passés par là mais aussi trois années de quinquennat Macron. Ainsi, les paysages sociétaux, économiques et politiques ont changé. Avec la crise sanitaire, une nouvelle donnée est à prendre en compte : la démocratisation du télétravail. Une longue grève des transports pourrait avoir moins d’impact sur l’économie du pays. « Le télétravail, c’est quand même l’arme antigrève absolue », se rassure ainsi un dirigeant Renaissance. Néanmoins, de nombreux métiers restent dépendants des déplacements, qu’il s’agisse des transports ou de la voiture. Et si les raffineries rejoignent un mouvement reconductible, l’effet de la grève pourrait bien se faire sentir dans tout le pays.


notre dossier sur la réforme des retraites

Mais la question principale, c’est de savoir si la société a vraiment envie de se mobiliser. Pour Michel Wieviorka, « les Français sont fatigués, les inquiétudes se localisent autrement et cela s’est vu dans la tentative de reprise d’un mouvement des "gilets jaunes". » Toutefois, un ras-le-bol plus général pourrait naître de ces actions contre la réforme des retraites, surtout si le sujet des salaires s’invite dans le combat. En général, le délabrement des services publics, hôpitaux, justice, éducation, transports, qui représentent le modèle républicain, inquiète les Français. D’autant que la colère de 2019 n’est pas éteinte, elle a juste été éclipsée par le coronavirus.

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