ELLE. – Emmanuel Macron ouvre le débat sur un devoir de visite du père, qui laisse trop souvent la charge mentale et l’éducation des enfants à la mère après un divorce ou une séparation. Y êtes-vous défavorable ?

Elisa Aboucaya. – Non, c’est une bonne idée. C’est intéressant, même si c’est très difficile de contraindre un père – puisque, dans les faits, la plupart du temps c’est un père – d'exercer un devoir d'éducation. Aujourd’hui, le droit de visite n’est pas une obligation puisqu’il n’y a pas de sanctions s’il n’est pas respecté. Je pense que ce devoir de visite permettrait une construction plus harmonieuse des enfants. Quand je suis confrontée à des jeunes délinquants, très souvent, l’absence du père est flagrante. C’est aussi dans l’intérêt d’un parent, à partir du moment où il a fait un enfant, d’assumer sa responsabilité même quand la relation à l’autre parent a échoué. C’est absolument indispensable. C’est tout aussi important pour un père d’être capable d’assumer sa paternité et son rôle. Aujourd’hui, c’est très lourd pour les femmes qui sont à la tête de familles monoparentales.

ELLE. – La loi vous semble-t-elle injuste telle qu’elle est, avec un simple droit de visite ?

Elisa Aboucaya. – Le code pénal prévoit quand même certaines sanctions. Par exemple, en cas de non-présentation d’un enfant – si le parent qui héberge ne laisse pas l’enfant au parent possédant un droit de visite –, il risque un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Mais ce sont des sanctions qui ne sont quasiment jamais prononcées par les juges. De la même façon, si une pension alimentaire n’est pas versée pendant deux mois, ce qu’on appelle un délit d’abandon de famille, c’est sanctionné soit par une peine de prison soit par une amende. C’est rarissime que le parent qui doit verser une contribution soit condamné à une peine de prison. Dans les cas extrêmes, un parent défaillant s’expose au retrait de l’autorité parentale.

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ELLE. – Êtes-vous régulièrement confrontée à des pères qui n’exercent plus ou peu ce droit de visite ?

Elisa Aboucaya. – Oui, mais en même temps ça évolue. Depuis une dizaine d’années, il y a plus de pères présents, et qui souhaitent intervenir dans l’organisation de la vie des enfants. Ça reste cependant très majoritairement les mères qui remplissent ce rôle en cas de séparation, ce qui pose un problème.

ELLE. – Est-il normal que la « contribution à l’entretien » (la pension alimentaire, N.D.L.R.) soit le seul devoir qu’ait un père envers son enfant ? 

Elisa Aboucaya. – Non, ça n’est pas normal. Cette contribution est d’ailleurs une contribution à l’entretien et à l’éducation. Elle se traduit par une obligation monétaire or c’est absolument fondamental, pour un enfant, de se construire face à deux parents. Aujourd’hui, de façon très archaïque, il appartient toujours à la mère en cas de séparation de se débrouiller avec toutes les questions autour de l’organisation de la vie de l’enfant.

ELLE. – Concrètement, comment ce devoir de visite pourrait-il être mis en place ? 

Elisa Aboucaya. – Il faut un arsenal législatif. S’il n’y a pas un cadre légal, le devoir est une notion éthique, morale. Il faudrait l’ajouter au code civil. Il pourrait y avoir un devoir de visite et d’éducation comme il y a un devoir de secours en matière de divorce.

Il faudrait avoir des sanctions sans qu'elles ne soient forcément financières

ELLE. – Comment pourrait-on, ensuite, contrôler ce devoir de visite ?

Elisa Aboucaya. – Si ce devoir est consacré, c’est par un texte qui oblige le parent qui n’a pas la résidence habituelle à exercer son droit de visite, à prendre régulièrement l’enfant, à s’intéresser à sa scolarité, etc. Le parent hébergeur, le plus souvent la mère, devra alors saisir le juge aux affaires familiales pour rappeler ses devoirs à l’autre parent. Il faudrait avoir des sanctions sans qu’elles ne soient forcément financières. Il pourrait y avoir une obligation de se présenter, d’expliquer pourquoi on ne peut pas voir l’enfant ou pourquoi on le délaisse.

ELLE. – Quelles limites voyez-vous à la mise en place de ce devoir ?

Elisa Aboucaya. – Les juges aux affaires familiales sont complètement débordés. Je pense qu’il faudrait imaginer des maisons familiales avec des professionnels dédiés à ces questions-là. L’organisation de la vie des enfants est une source de conflit immense après séparation et on est sur des délais très longs aujourd’hui.

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