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TOUT COMPRENDRE. Qu'est-ce que l'accord de libre-échange Ceta soumis au vote du Sénat ce jeudi?

Traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, le Ceta passe ce jeudi devant le Sénat, qui pourrait bien décider de ne pas le ratifier.

Ils ont promis un "coup de tonnerre politique". A l'initiative des sénateurs communistes qui ont inscrit le texte à l'ordre du jour du Sénat, la chambre haute va se prononcer ce jeudi sur l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, aussi appelé traité Ceta.

Signé en 2016 et validé par le Parlement européen en février 2017, cet accord de libre-échange est partiellement entré en vigueur en septembre de la même année. Sa pleine application et son adoption définitive doivent toutefois passer par la ratification des parlements des différents États membres.

Approuvé par l'Assemblée nationale en 2019, le texte n'a encore jamais été soumis au Sénat. Et pour cause, le gouvernement rechignait a le faire examiner dans cet hémicycle dominé par l'opposition de droite et où le camp présidentiel est très minoritaire. Le parti communiste a donc décidé de prendre les devants, profitant de son droit d'initiative. Et dans un contexte de crise agricole, l'hypothèse d'un rejet de l'accord Ceta n'est pas à exclure.

"Il ne faut pas être naïf. C'est une instrumentalisation en pleine campagne européenne" tant par la droite que par la gauche, a estimé le ministre délégué en charge du Commerce extérieur, Franck Riester sur BFM Business. "Certains LR utilisent cette ratification comme bouc émissaire aux problèmes agricoles", a ajouté le ministre, en référence au camp des Républicains.

• Que prévoit le Ceta?

Pavé de 2.344 pages, l'accord commercial entre l'Union européenne et le Canada a été présenté par les dirigeants européens comme un nouvel "accord modèle" de libre-échange. Le texte a supprimé en 2017 près de 98% des droits de douanes dans les échanges entre les deux parties.

"Dans le secteur industriel, la quasi-totalité des droits de douane ont été supprimés, à l’exception des industries automobiles et navales" pour lesquels un démantèlement progressif en 7 ans est prévu, rappelle une note du Trésor, tandis que 93,8% des droits de douane ont été supprimés par l'UE dans le secteur agricole et 91,7% par la Canada. Ces tarifs étaient jusqu'alors fixés en général entre 10 et 25%, voire 227% pour le fromage.

L'accord prévoit également une augmentation progressive du volume de fromage européen exportés à droits de douane nuls. Ce contingent a atteint 18.500 tonnes en 2022 dont 16.000 tonnes de fromage affinés et 1.700 tonnes de fromage industriels. A l'inverse, l'Union européenne a accordé de nouveaux contingents pour la viande, permettant au Canada d'exporter 45.840 tonnes de viande de bœuf et 75.000 tonnes pour le porc. Ces produits doivent en revanche répondre à certaines normes européennes, comme l'interdiction du bœuf aux hormones.

Le Ceta vise dans le même temps à réduire les barrières non tarifaires via une harmonisation des normes (hors normes sanitaires et phytosanitaires) et réglementations pour favoriser les échanges entre l'UE et le Canada. Le texte permet également aux entreprises européennes d'avoir accès aux marchés publics canadiens, y compris ceux des villes et des provinces. Il accorde enfin la reconnaissance et donc la protection par le Canada de 173 indications géographiques, dont 42 françaises (Roquefort, Reblochon, Cantal, Saint Nectaire, Pruneaux d'Agen...).

• Pourquoi le texte est critiqué?

En vigueur depuis plus de six ans, le Ceta fait encore l'objet de nombreuses critiques. Les agriculteurs craignent notamment que les importations de viande à des coûts de revient inférieurs aux leurs inondent le marché européen.

Autre point d'inquiétude: la création d'une juridiction spéciale censée trancher les litiges qui opposeraient les entreprises canadiennes aux Etats européens ou à l'inverse les entreprises européennes à l'Etat canadien. Si les parlements nationaux ratifient le texte, une cour de justice indépendante doit voir le jour. Celle-ci pourrait être saisie par les entreprises estimant qu'un Etat agit contre ses intérêts. Mais les opposants au Ceta redoutent que cela n'incite les entreprises canadiennes de remettre en cause les normes environnementales et sanitaires. Ils rappellent que c'est ce type de mécanisme qui a permis à Philip Morris d'attaquer en justice (finalement sans succès) l'Uruguay et sa politique anti-tabac en 2010.

L'Union européenne, elle, rappelle que ce tribunal permanent doit être composé de juges professionnels nommés à la fois par l'UE et le Canada, avec la possibilité de faire appel des décisions rendues. Elle ajoute que le traité "dit aussi très clairement que le fait de protéger les investissements à l’étranger contre les mesures d’expropriation sans compensation ne doit en aucune façon remettre en cause les politiques publiques défendant l’intérêt général dans des domaines comme la santé et l’environnement. Le fait de voir ses profits diminuer en raison d’une nouvelle législation ne justifie en rien une compensation".

Ceta : un traité en danger ? - 19/03
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• Quel bilan?

Selon le Trésor, l'application du Ceta a été bénéfique pour le commerce extérieur tricolore avec des économies de droits de douane de 55 milliards d'euros en 2022: "Depuis l'entrée en vigueur provisoire du Ceta il y a six ans, le commerce France-Canada a augmenté d'un tiers, tiré par les exportations françaises" qui ont atteint 4,2 milliards d'euros, explique-t-il.

Le secteur viticole (exportations en hausse de 24%) fait partie des grands gagnants du Ceta, tout comme les produits laitiers. L'ouverture de quotas s'est en effet "traduite par une augmentation de 57% des exportations françaises de fromage entre 2016 et 2022". Au final, "entre 2017 et 2023, la France a enregistré cinq années d’excédent commercial avec le Canada, d’une valeur moyenne de 243 millions d'euros, et n’a connu que deux années de déficit, en 2021 (-295 millions d'euros) et en 2023 (-23 millions d'euros)", indique le Trésor.

Le cabinet Asterès, qui s'est penché sur les chiffres, tempère ce constat en notant que "les flux commerciaux entre la France et le Canada ont certes augmenté, mais pas plus que l'ensemble du commerce français". "La progression peut sembler importante, mais elle est assez similaire à l’évolution de l’ensemble du commerce extérieur français (hausse de 35 % des exportations et de 42 % des importations totales sur la période)", souligne Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès. Il assure en revanche que le Ceta "na pas entraîné le déferlement de produits agricoles qui était craint", notamment en ce qui concerne les importations de bœuf canadiennes qui ont même tendance à baisser "depuis plusieurs années", la France important plutôt des pièces aéronautiques, des minerais et des produits pharmaceutiques.

Au niveau européen, la Commission tablait initialement sur une croissance de 25% des échanges entre l'UE et le Canada à terme. Or, ceux-ci ont en réalité progressé de 51% entre 2017 et 2023. Les exportations européennes ont augmenté de 51% (49 milliards d'euros), tandis que les importations ont crû de 52% (28 milliards d'euros), "conduisant à un excédent européen en augmentation de 50%, de 14 à 21 milliards d'euros", observe le Trésor.

• Que se passera-t-il si le texte n'est pas ratifié?

A ce jour, neuf Etats membres (France, Belgique, Italie, Pologne, Irlande, Bulgarie, Chypre, Slovénie, Grèce, Hongrie) n'ont pas encore ratifié le Ceta. Parmi eux, seul Chypre l'a rejeté. Mais le gouvernement chypriote n'a jamais notifié ce rejet à Bruxelles, ce qui permet à l'accord de continuer de s'appliquer.

En France, un rejet du Sénat serait loin d'être anodin: en effet, le sort du texte pourrait être identique en deuxième lecture à l'Assemblée nationale où le camp présidentiel ne dispose pas de majorité absolue. Mais là encore, le gouvernement n'est pas obligé de notifier ce rejet à la Commission européenne.

Quoi qu'il en soit "la non-ratification de l'accord par certaines Etats membres n'empêche pas l'application" des mesures commerciales qui sont sous la compétence de l'UE et "qui représente plus de 90% du texte", précise le Trésor.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco