Au bout d’une journée marquée par le deuil de toute la Russie, les quatre suspects de l’attaque du Crocus City Hall sont arrivés tard dimanche soir au tribunal de Basmanny, inculpés l’un après l’autre d’actes de terrorisme et placés en détention provisoire. “Ils ont été torturés pendant leur interrogatoire”, souligne le site russe en exil Meduza. “Ils ont été traînés devant la cour, d’abord les yeux bandés, puis le visage découvert, avec des signes de gonflement du visage et des oreilles, l’un d’entre eux était même dans un fauteuil roulant”, décrit le quotidien italien Corriere della Sera.

Le bilan de l’attentat s’élève à 137 morts et plus de 150 blessés. “La détention a été aussi sévère que possible. L’objectif principal était d’obtenir des informations qui aideraient à en savoir plus sur les instigateurs. Les officiers du FSB, sachant ce que les fuyards avaient fait à Crocus, se sont retenus avec difficulté”, précise le journal russe conservateur Moskovski Komsomolets.

Les images des auteurs présumés pliés en deux par la police et conduits vers la salle d’audience ont largement circulé dans les médias mais les sessions ont eu lieu à huis clos. “Le tribunal était d’accord avec l’avis de l’accusation selon lequel les audiences publiques peuvent conduire à la divulgation du secret de l’enquête ainsi que menacer la sécurité des participants au processus et de leurs proches”, note le site d’information russe Gazeta.ru.

Gazeta fait une courte description de chacun des suspects, qui ont tous admis leur culpabilité. Dalerjon Mirzoev d’abord, présenté comme le chef des assaillants dans la presse russe. Un homme de 32 ans, marié et père de quatre enfants, ancien chauffeur de taxi, originaire du Tadjikistan. Saidakrami Rachabalizoda ensuite, chômeur, marié lui aussi, père d’un enfant et l’oreille visiblement en partie coupée lors de son arrestation.

Le troisième accusé s’appelle Fariduni Shamsidin, 25 ans. Quelqu’un lui aurait proposé 500 000 roubles pour mener l’attaque. Il a répondu lui-même aux questions du juge dans un russe aléatoire. Enfin, Muhammadsobir Fayzov, 19 ans. Coiffeur, célibataire sans enfant, il aurait joué le rôle de chauffeur dans l’opération, organisée depuis un mois d’après les premiers éléments de l’investigation.

L’Ukraine toujours suspectée par Moscou

Les autorités ont arrêté en tout onze personnes et l’enquête se poursuit sur les ramifications éventuelles de l’attentat. L’organisation État islamique l’a revendiqué, vidéos à l’appui, mais le gouvernement russe continue d’évoquer des liens avec l’Ukraine. Journal pro-Kremlin, le Moskovski Komsomolets rapporte par exemple les propos d’un témoin affirmant avoir entendu “un cri fort en russe, à mon avis, complètement sans accent”.

Le Guardian cite la porte-parole du ministère des Affaires étrangères moquant sur Telegram les propos américains concernant la responsabilité unique de Daech. “J’aurais aimé qu’ils arrivent à résoudre aussi vite l’enquête sur l’assassinat de leur propre président Kennedy. Mais non, depuis plus de soixante ans, ils n’ont pas réussi à déterminer qui l’avait tué. Ou peut-être que c’était Daech aussi ? Jusqu’à ce que l’enquête soit terminée, toute déclaration de Washington exonérant Kiev doit être considérée comme une preuve”, a-t-elle écrit dimanche.

Un Vladimir Poutine “ému” a rendu hommage aux victimes en allumant un cierge près d’une image de Jésus-Christ et fait plusieurs fois le signe de croix, observe Sky News. La BBC se demande – et elle n’est pas la seule – “comment le Kremlin va-t-il réagir à cette attaque dévastatrice ?” En tout cas, la tragédie “a détruit le tissu de mensonges de Poutine”, estime Die Welt.

“Comme beaucoup de dictateurs, Poutine a un accord tacite avec son peuple : il promet la sécurité et l’ordre, mais le peuple doit supporter les restrictions de liberté. Avec l’attentat terroriste près de Moscou, tout le monde le sait : Poutine n’a pas respecté sa part du marché”, poursuit le média allemand, tout en dressant le constat que son pouvoir n’est pas menacé. Après des années de répression, “l’espoir que les gens se lèvent désormais en masse a complètement disparu. La majorité des Russes sont devenus un peuple léthargique et résigné à son sort”, conclut le quotidien.