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« Planter 1 milliard d’arbres » : la fausse solution du gouvernement

Emmanuel Macron veut planter « 1 milliard d’arbres d’ici 2030 » pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique. Une « politique du chiffre néfaste » : mieux vaut préserver les vieilles forêts.

La formule est séduisante. Elle a le mérite d’être simple, consensuelle et facilement mobilisable. Emmanuel Macron veut planter « 1 milliard d’arbres d’ici 2030 » pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique en France. Soit 10 % de nos forêts. L’annonce a tout du spot publicitaire mais, au-delà de l’effet de communication, cette solution magique prônée par le gouvernement pose une multitude de questions. Elle détourne le débat autour des politiques forestières — alors que les effectifs de l’Office national des forêts (ONF) sont, en ce moment même, taillés à la hache — et traduit une méconnaissance du fonctionnement des écosystèmes.

« Le nombre d’arbres plantés est un très mauvais indicateur pour évaluer une politique forestière. On alimente une vision biaisée de la forêt », confirme Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes à l’association Canopée. Comme l’expliquent de nombreux écologistes, une forêt, normalement, ne se plante pas. Elle croît et pousse par elle-même avec ses forces spontanées. Elle se régénère naturellement, en symbiose avec les êtres, la faune et la flore qui la compose.

Si certaines situations demandent une attention particulière et nécessitent parfois des plantations ponctuelles, pied par pied, pour enrichir la forêt ou faire face à des dégradations, on ne peut faire de cette pratique l’alpha et l’oméga d’une bonne gestion forestière. « Si on plante, c’est qu’on s’est planté », entend-on souvent dans les bois.

« Une posture écopaternaliste »

Le discours d’Emmanuel Macron révèle un rapport au monde typique des Modernes [1]. Avec sa vision surplombante, son côté démiurge, l’humain devrait désormais « réparer » et « reconstruire » la nature. Dans son livre Raviver les braises du vivant (éd. Actes Sud, 2020), le philosophe Baptiste Morizot y voit « la persistance d’une posture écopaternaliste », où « l’être humain, après avoir dévasté le vivant, se présente ensuite comme son intendant et gestionnaire ». Dans cette approche, « le monde serait fabriqué par la main humaine et non par le vivant ».

Cette hérésie, entretenue au plus haut sommet de l’État, nourrit une forme de confusion. « On prend trop souvent les plantations d’arbres pour de véritables forêts », alertait, dans Reporterre, le botaniste Francis Hallé. Elles n’ont pourtant rien à voir. « Les plantations sont des systèmes artificiels qui nécessitent des investissements lourds, un suivi sur le long terme et des travaux forestiers. Ce sont des champs d’arbres rectilignes, tracés au cordeau où la biodiversité est très limitée », affirme le chercheur dans une tribune publiée dans Le Monde.

« On prend trop souvent les plantations d’arbres pour de véritables forêts »

Face aux défis climatiques, les plantations d’arbres ne sont pas non plus, forcément, l’outil le plus adéquat. Les plantations sont particulièrement vulnérables aux pathogènes et aux parasites. En cas de violentes tempêtes, elles sont plus fragiles que les forêts diversifiées. Le paysagiste Gilles Clément assure que « rien n’est plus risqué qu’une culture monospécifique ». Or ces monocultures — de résineux — représentent l’écrasante majorité des plantations en France.

La forêt usagère, plus diversifiée, a mieux résisté aux incendies en Gironde de l’été 2022 que les monocultures. © Alain Pitton / Reporterre

La philosophe Joëlle Zask, elle, montre dans son livre Quand la forêt brûle (éd. Premier parallèle, 2022), que les champs d’arbres, souvent résineux, s’enflamment comme des allumettes. « L’industrie forestière et les grands feux forment un couple inséparable », écrit-elle. Les récents incendies dans les Landes de Gascogne l’ont encore démontré. Les forêts naturelles ont mieux résisté que les monocultures de pins maritimes, sous perfusion d’engrais et au sol labouré, toutes parties en fumée.

En ville aussi, les arbres centenaires déjà existants — très souvent menacés par les projets d’aménagement — survivent bien mieux et captent plus de carbone que lesdites forêts Miyawaki que les élus plantent à grand renfort de communication pour verdir leur bulletin municipal.

Les vieilles forêts, comme ici dans les Hautes-Pyrénées, abritent des cortèges d’espèces qui n’existent nulle part ailleurs. © Alain Pitton / Reporterre

Les vieilles forêts sont bien plus efficaces pour stocker le CO2

« Compter sur ce type de plantations s’apparente à un pari risqué dans le futur hautement incertain qui se profile », résume le scientifique Xavier Morin, joint par Reporterre. Plusieurs études académiques ont montré, au contraire, la nécessité de préserver les vieilles forêts et de changer de modèle sylvicole, pour tendre vers des écosystèmes plus naturels, plus diversifiés et moins industriels.

Une récente étude de la revue Science, parue en 2022, affirme ainsi que « le stockage du carbone, l’approvisionnement en eau, et en particulier le contrôle de l’érosion des sols et les avantages pour la biodiversité sont tous mieux fournis par les vieilles forêts qu’avec des plantations plus simples et plus jeunes ».

Dans une tribune au JDD, au début de l’année, 600 scientifiques, associatifs et professionnels du bois expliquaient aussi qu’« une stratégie d’adaptation ne pouvait se résumer à un programme massif de plantations pour remplacer les forêts existantes ». Ils appelaient plutôt à accompagner les peuplements existants, à maintenir le couvert forestier, à mélanger les essences et à conditionner les aides publiques en faveur d’une sylviculture plus proche de la nature.

Emmanuel Macron ne semble pas s’en soucier. « Avec cet objectif quantitatif, ce milliard d’arbres, le chef de l’État prône une politique du chiffre. C’est un leitmotiv commercial, une forme d’“excelisation” des pratiques forestières », déplore Sylvain Angerand de Canopée.

Un cadeau aux industriels ?

Beaucoup de questions restent en suspens. Qui va planter ? Sous quelle modalité ? Avec quel moyen et quelles essences ? Les syndicalistes de l’ONF rappellent à raison que la baisse de leurs effectifs n’est pas compatible avec « le formidable chantier écologique et d’aménagement de notre territoire », voulu par le chef de l’État.

En vingt ans, l’ONF a perdu 32 % de ses salariés, avec une accélération ces cinq dernières années. « On a moins besoin de planter des arbres que de gens qui observent et s’occupent des forêts. C’est un métier et un regard qui se perdent », regrette Patrice Martin, du Snupfen — le syndicat majoritaire à l’ONF.

L’annonce d’Emmanuel Macron pourrait en réalité, être un cadeau offert aux industriels, dans la lignée du plan de relance lancé après la pandémie. Faute de critères écologiques rigoureux, de nombreuses forêts abusivement qualifiées de pauvres ou de vulnérables ont été rasées alors qu’elles étaient en bonne santé. Le douglas a été l’arbre le plus planté. Les finances de l’État ont servi de prime à la coupe rase et à la monoculture. Avec les résultats que l’on connaît : à la suite de la sécheresse de cet été, les grandes étendues de jeunes arbres, plantés sous le soleil après une coupe à blanc, se sont massivement déshydratés. Il y a eu de nombreuses pertes.

Une coupe rase dans le Morvan. © Roxanne Gauthier/Reporterre

Dans un rapport, Canopée soutient que 87 % des projets financés par le plan de relance impliquent des coupes rases et 83 % concernent des plantations en monoculture. Qu’en sera-t-il demain avec la nouvelle politique défendue par Emmanuel Macron ? L’adaptation au changement climatique servira-t-elle de paravent à la filière bois pour continuer son industrialisation et planter des essences exotiques à croissance rapide ?

En 2012, déjà, Alliance forêt bois, la plus grosse coopérative forestière en France, publiait son manifeste en faveur des forêts de plantation. « Une forêt qui se positionne d’emblée dans le champ économique, qui suppose un investissement initial qui doit être rentable pour le sylviculteur et qui implique, le plus souvent, un lien fort avec l’industrie », décrivait-elle.

Quelques années plus tard, le gouvernement d’Emmanuel Macron lui ouvre la voie pour transformer nos massifs. Un milliard d’arbres représentent un dizième de nos forêts. Il va falloir de nombreuses graines, des plants et un engouement des pépiniéristes. Or ce sont les mêmes coopératives forestières industrielles qui détiennent l’amont de la filière. Forelite, la filiale d’Alliance forêt bois, commercialise un tiers des plants forestiers en France. Plus que les écosystèmes, ce sont ces acteurs économiques qui ont tout intérêt à cette politique.

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