ACTION UFC-QUE CHOISIR
Dépassements d’honoraires

Stop à la médecine spécialisée à deux vitesses

Alors que la convention tarifaire entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie est en train d’être renégociée, l’UFC-Que Choisir rend aujourd’hui publics des chiffres alarmants sur l’ampleur des dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins de huit spécialités libérales, qui entraînent une inacceptable inégalité territoriale d’accès à la médecine, et même un intolérable renoncement aux soins pour de nombreux citoyens. En conséquence, l’UFC-Que Choisir appelle plus que jamais les pouvoirs publics à mettre un terme à cette envolée du prix des soins.

Dans le cadre de ses analyses sur la fracture sanitaire, l’UFC-Que Choisir prend systématiquement en compte sa dimension financière, à savoir l’accessibilité à des médecins selon qu’ils pratiquent ou non des dépassements d’honoraires. Aujourd’hui, notre association va plus loin. Sur la base de la collecte et de l’analyse de données de la Sécurité sociale relatives aux pratiques tarifaires de huit professions libérales, elle dresse un panorama précis de la proportion de médecins ne respectant pas le tarif de base et du niveau des dépassements d’honoraires pratiqués (1). Une enquête exclusive réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 1 004 personnes met en outre en évidence les conséquences concrètes du coût croissant des soins sur les usagers du système de santé.

Des honoraires pouvant varier du simple au double selon les départements

Les assurés sociaux sont sujets sur tout le territoire aux mêmes cotisations à la Sécurité sociale, et la base de remboursement de l’Assurance maladie obligatoire est également définie au niveau national. Pourtant, selon les spécialités, les honoraires pratiqués pour une consultation sont jusqu’à 2,5 fois plus onéreux d’un département à l’autre :

Tarifs de la consultation pour huit spécialités

SpécialitéTarif moyenDépassement moyen (en France)Tarif moyen (département le plus cher)Dépassement moyen (département le plus cher)
Anesthésistes40,9 €10,9 €59,2 €29,2 €
Cardiologues55,9 €4,9 €77,8 €26,8 €
Dermatologues41,7 €11,7 €70,3 €40,3 €
Gastro-entérologues37,5 €7,5 €67,9 €37,9 €
Gynécologues50,6 €20,6 €80,5 €50,5 €
Ophtalmologues43,8 €13,8 €65,5 €35,5 €
Pédiatres (0-2 ans)46,2 €9,2 €66,7 €29,7 €
Psychiatres63,9 €13,7 €83,6 €33,4 €

Source : UFC-Que Choisir, d’après données Assurance maladie. Année 2022, France métropolitaine. Voir le fichier annexe pour consulter l’ensemble des données départementales.

Ainsi, le tarif moyen d’une consultation chez le gynécologue s’élève à 50,6 €, et atteint même 80,5 € à Paris, contre un tarif opposable de 30 €. Pour les psychiatres, alors que le tarif servant de base de remboursement à la Sécurité sociale s’élève à 50,2 €, les patients s’acquittent de 13,7 € de dépassements en moyenne, et même 33,4 € dans le département où les tarifs sont les plus élevés (2). Pour les cardiologues, ce sont les Hauts-de-Seine qui décrochent la palme du tarif le plus élevé, à 77,8 € alors que le tarif de la Sécurité sociale s’élève à 51 €.

Par ailleurs, pour l’ensemble des huit spécialités étudiées, au moins un département a un tarif moyen correspondant au tarif opposable (dépassement moyen nul) ; il s’agit généralement de départements ruraux et relativement peu dotés en médecins. Les zones aux tarifs les plus élevés tendent quant à eux à être l’Île-de-France (en particulier Paris et les Hauts-de-Seine), ainsi que les départements littoraux du Sud, et d’autres comportant de grandes métropoles, c’est-à-dire des départements où la démographie médicale est plutôt relativement moins défavorable. Ainsi, comme nous le montrons dans nos études sur la fracture sanitaire depuis 2012, les patients tendent à résider soit dans un « désert géographique » (peu de médecins), soit dans un « désert financier » (médecins relativement plus nombreux, mais aux tarifs très élevés), et donc à être pris au piège d’une manière ou d’une autre.

Les moyennes nationales masquent donc de profondes inégalités territoriales. À titre d’illustration, les honoraires des anesthésistes (dont les tarifs s’imposent très souvent aux patients s’apprêtant à subir une opération, puisqu’ils sont orientés vers l’un d’eux par le chirurgien qui va le traiter) varient du simple au double en fonction des départements, et présentent un contraste tarifaire saisissant entre les départements les moins chers et les plus chers (3) :

Honoraires des anesthésistes

Voir le fichier annexe pour consulter les cartes pour l’ensemble des 8 spécialités étudiées.

Pour les 17 départements (4) on observe un tarif moyen correspondant au tarif opposable, ce qui montre qu’il est parfaitement possible de respecter le tarif de la Sécurité sociale. Pourtant, dans cinq autres départements, les honoraires moyens s’élèvent à 50 € ou plus : la Haute-Saône, Paris, la Sommes, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne. Dans le département le plus cher (Paris), le dépassement moyen est de 29,2 €. Le problème des dépassements très élevés est toutefois loin de se limiter à Paris et ses banlieues les plus huppées.

Les causes : l’intolérable laisser-faire des autorités

La cause la plus évidente de cette situation totalement inégalitaire est la croissance rapide de la part des spécialistes autorisés à facturer des dépassements, visible même à l’échelle de 5 ans au gré des nouvelles installations et des départs en retraite :

Part des praticiens effectuant des dépassements d’honoraires (5)

20162021Évolution sur 5 ans
Anesthésistes46,0 %58,8 %+12,8 points
Cardiologues22,3 %26,5 %+4,2 points
Dermatologues43,5 %47,6 %+4,1 points
Gynécologues62,1 %71,4 %+9,3 points
Gastro-entérologues41,9 %48,8 %+6,9 points
Pédiatres39,2 %49,1 %+9,9 points
Ophtalmologues58,8 %66,7 %+7,9 points
Psychiatres35,5 %43,5 %+8,0 points
Total spécialistes45,8 %52,2 %+6,4 points

Source : UFC-Que Choisir, d’après données de l’Assurance maladie.

Dans la mesure où la vague de départs en retraite des médecins issus de la génération du baby-boom ne fait que commencer, si les autorités ne prennent pas de mesures courageuses, au vu de la démographie médicale le risque que ce phénomène s’accélère et s’aggrave est particulièrement aigu.

Mettre un frein aux dépassements d’honoraires pour limiter le renoncement aux soins

Alors que les négociations de la convention entre les praticiens libéraux et l’Assurance maladie ont repris, l’UFC-Que Choisir se tient vigilante. Si ces négociations devaient aboutir, conformément à la demande faite par les syndicats des médecins libéraux, à une revalorisation des tarifs opposables des consultations, il n’existerait, en l’état, aucun mécanisme empêchant un effet d’aubaine, à savoir que les praticiens qui pratiquent des dépassements profitent de cette hausse du tarif de base pour augmenter leurs honoraires. Il est pourtant indispensable de réduire les écarts entre les tarifs de base et les tarifs pratiqués, écarts que les patients payent de leur poche, soit directement (lorsqu’ils ne sont pas couverts par leur complémentaire santé), soit à travers une hausse de la cotisation à leur complémentaire.

Cette réduction est en effet une condition sine qua non pour réduire les inégalités sociales de santé, qui sont gigantesques, comme le met en évidence un sondage exclusif réalisé par l’UFC-Que Choisir montrant qu’aujourd’hui les ménages les moins aisés se déclarent trois fois plus en mauvaise santé que les ménages les plus aisés (27 % contre 10 %). Comment s’en étonner, alors que 45 % des personnes les plus modestes déclarent peiner à trouver des rendez-vous médicaux, contre seulement 4 % des ménages les plus aisés ? Sachant que les renoncements aux soins pour raisons financières touchent 38 % des personnes s’estimant en mauvaise santé (6), il est plus que jamais indispensable de mettre un coup d’arrêt à l’exposition des dépassements d’honoraires.

Demandes de l’UFC-Que Choisir

Afin de rétablir l’accessibilité financière des consultations chez les spécialistes, l’UFC-Que Choisir demande :

  • De conditionner d’éventuelles augmentations des tarifs de base de la sécurité sociale à une réduction effective des restes à charge pour les usagers ;
  • La fermeture de l’accès au secteur 2 (à honoraires libres) hors OPTAM pour les nouveaux arrivants ;
  • Le lancement d’un chantier visant à terme l’adhésion de tous les spécialistes installés en secteur 2 à l’OPTAM, qui ne peut plus rester optionnelle dans un contexte de grave crise d’accès aux soins.

L’UFC-Que Choisir rappelle par ailleurs qu’elle a récemment saisi le Conseil d’État pour faire constater et sanctionner l’inaction gouvernementale sur l’accès aux soins, et enjoindre l’exécutif à agir. Elle invite par ailleurs les consommateurs à soutenir sa démarche en signant la pétition « J’accuse l’État », et en consultant la carte interactive des déserts médicaux actualisée en novembre 2023. 

Annexes_Cartesettableaux.pdf Télécharger


(1) Pour recueillir et traiter les données de l’Assurance maladie, l’UFC-Que Choisir a fait appel l’expertise de Benjamin Montmartin, Professeur d’Économétrie et Sciences des données (Skema Business School).


(2) Il s’agit également de Paris, comme pour les anesthésistes, dermatologues, gastro-entérologues, ophtalmologues et pédiatres.


(3) Les cartes pour l’ensemble des spécialités étudiées sont présentées dans le document joint, ainsi que les données départementales.


(4) Il s’agit des Ardennes, de l’Aveyron, du Cantal, de la Creuse, du Finistère, de la Haute-Corse, du Gard, du Gers, de l’Indre, de l’Indre-et-Loire, du Lot-et-Garonne, de la Manche, de l’Orne, du Puy-de-Dôme, du Tarn, de la Vienne et de l’Yonne.


(5) Praticiens effectuant des dépassements : Secteur 1 avec droit à dépassement + Secteur 2 (honoraires libres) + Secteur 3 (non conventionnés). Les médecins conventionnés secteur 2 représentent toutefois entre 97,5 % et 99,8 % des médecins effectuant des dépassements pour les spécialités étudiées.


(6) Sondage réalisé en novembre 2023 par l’Observatoire de la consommation de l’UFC-Que Choisir. Les résultats complets de ce sondage sont à retrouver dans le numéro de Que Choisir Pratique de mars 2024. Par ailleurs, le magazine Que Choisir de mars 2024 expose plus en détail les difficultés de patients confrontés à des dépassements.

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