Une dizaine de responsables gouvernementaux ukrainiens ont démissionné ou ont été limogés mardi par Volodymyr Zelensky, qui, note le journal canadien Globe and Mail,adopte une ligne dure” face à une série de scandales de corruption à un moment où le pays appelle à davantage de soutien militaire occidental.

C’est le premier remaniement ministériel “substantiel” depuis le début de l’invasion russe en février dernier et “il n’a rien à voir avec les déboires sur le front” ni “avec les difficiles négociations internationales pour obtenir plus d’armes”, constate le quotidien espagnol El País. La raison est toute autre, et c’est une “vieille connaissance de la société ukrainienne” : la corruption politique.

Le président Volodymyr Zelensky a défendu mardi soir des décisions “nécessaires” pour “se rapprocher des institutions européennes”. “Tous les problèmes internes qui empêchent l’État de se renforcer sont en train d’être réglés et le seront encore davantage” à l’avenir, a-t-il souligné dans son allocution quotidienne, rapportée par le journal suisse Le Temps.

Le “parrain des régions” limogé

Au total, cinq gouverneurs régionaux, quatre vice-ministres et deux responsables d’une agence gouvernementale vont quitter leurs postes, en plus du procureur général adjoint et du chef de cabinet adjoint du président.

Ce dernier, Kyrylo Tymoshenko, très proche de Zelensky et surnommé le “parrain des régions” parce qu’il faisait le lien entre la présidence et les différents potentats locaux –, est accusé d’avoir bénéficié des faveurs d’hommes d’affaires lors d’attributions de marchés publics depuis le début de la guerre, rappelle le quotidien italien Il Corriere della Sera.

À l’origine du scandale, le journal ukrainien Ukrainska Pravda avait découvert en décembre que Tymoshenko conduisait une Porsche mystérieusement “offerte”. Le journaliste ukrainien d’investigation Denis Bihus avait par ailleurs révélé en octobre que l’homme politique aujourd’hui limogé s’était procuré un SUV donné par General Motors au titre de l’aide humanitaire. Tymoshenko sera remplacé par Oleksii Kuleba, l’ex-chef de l’administration militaire de la région de Kiev.

Le dilemme des militants anticorruption

“Non seulement le système anticorruption fonctionne, mais les politiciens apprennent à travailler d’une nouvelle manière”, a déclaré au Guardian le principal militant anticorruption ukrainien, Vitaliy Shabunin. Celui-ci regrette cependant que le ministre de la Défense ukrainien, Oleksii Reznikov, sous le feu des critiques après un scandale impliquant un de ses adjoints chargé des livraisons de nourriture sur le front, n’ait pas été désavoué.

La corruption est “un problème épineux pour les journalistes et militants ukrainiens”, qui craignent depuis le début de la guerre que leurs efforts pour dénoncer ce mal endémique “ne nuisent au soutien international” de leur pays, explique le quotidien britannique.

Un “contrat silencieux” se serait développé depuis le début de la guerre. “Nous ne critiquons pas les autorités autant que nous le faisions avant la guerre, mais celles-ci doivent en échange réagir très fermement et rapidement à toute corruption, même à petite échelle”, précise Shabunin. Or cette fois-ci “le ministère de la Défense ne l’a pas fait”, et limoger Reznikov serait selon le militant “le seul moyen de rétablir la confiance”.

“Pas de retour aux vieilles habitudes”

Les États-Unis ont malgré tout salué ces décisions “rapides” et “essentielles”, par la voix du porte-parole du Département d’État Ned Price. Celui-ci a ajouté qu’à sa connaissance, aucune aide américaine n’avait été détournée dans le cadre de ces affaires, et il a promis une “surveillance rigoureuse” de son utilisation, indique la radio publique NPR.

Certains élus républicains en profitent pour se demander ouvertement si le pays doit continuer à financer l’Ukraine au même niveau que l’année dernière. Le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, poussé par son aile droite, avait ainsi déclaré qu’il ne devrait pas y avoir de “chèque en blanc” pour l’Ukraine, rapporte le The Washington Post.

Il est donc essentiel que la “boule de neige” ne se transforme pas “en avalanche”, insiste le Corrierre della Sera. Le discours de Zelensky, se filmant en selfie avec son téléphone portable, s’est terminé par cet avertissement à tous les Ukrainiens qui manipulent l’argent public : “Je veux être clair : il n’y aura pas de retour aux vieilles habitudes.”