Un premier revers judiciaire pour le lycée Averroès. Le tribunal administratif de Lille a confirmé, lundi 12 février, en référé, la décision du préfet du Nord, qui avait décidé le 7 décembre 2023 de résilier le contrat qui liait le lycée Averroès, l’un des deux seuls lycées privés musulmans de France, avec l’État. Le tribunal, renvoyant le dossier au fond, a rejeté la demande du lycée, qui réclamait la suspension en urgence de cette décision.

« C’est une décision que nous jugeons inacceptable », a réagi auprès de La Croix un des avocats de l’association Averroès, Me Paul Jablonski. « Elle ne fait que reprendre les arguments de la préfecture, estime-t-il. Nous ne la comprenons pas et nous allons la contester devant le Conseil d’État. »

Deux manquements graves

Lors de l’audience au tribunal administratif de Lille, le 24 janvier, la préfecture avait accusé le lycée, ouvert depuis vingt ans et régulièrement classé parmi les meilleurs de l’académie, d’avoir dispensé des enseignements « contraires aux valeurs de la République ». Le préfet délégué pour la défense et la sécurité du département du Nord, Louis-Xavier Thirode, avait en outre estimé que l’établissement était « très lié à la mouvance des Frères musulmans et à l’UOIF ».

Pour justifier son maintien de la décision du préfet, le tribunal considère que le lycée a commis deux « manquements graves ». D’abord, il fait valoir que, en janvier 2022, un inspecteur d’académie avait demandé plusieurs documents sur le centre de documentation et d’information (CDI) de l’établissement, « qui ne lui ont pas été transmis », indique l’ordonnance du juge. De plus, la visite d’inspection qui a suivi « n’a pas permis à l’inspecteur d’accéder à la constitution du fonds documentaire du CDI », affirme-t-il. Le juge s’appuie également sur le fait que, le 27 juin 2022, le chef d’établissement a refusé l’accès aux bâtiments à des inspecteurs d’académie qui s’étaient présentés de façon inopinée au lycée Averroès pour inspecter ce même CDI.

En face, l’avocat de l’association conteste le refus de transmettre les éléments de janvier 2022 : « Il n’y a jamais eu de demande écrite », insiste-t-il. « Le CDI a été inspecté à plusieurs reprises, et dans les différents rapports, il est noté qu’il fait preuve d’un pluralisme culturel et qu’il est adapté », ajoute-t-il.

Quant au refus d’inspection de juin 2022, « c’est un incident qu’on regrette énormément », reconnaît l’avocat. « C’est le fait d’un ancien chef d’établissement qui a fait l’objet d’un burn-out ce jour-là : il recevait la commission de sécurité le même jour », dit-il, évoquant le fait que ce chef d’établissement a depuis été remplacé. « À supposer que ce soit un manquement grave, poursuit l’avocat, est-ce une faute du lycée ou simplement de l’ancien chef d’établissement qui a commis une erreur ? »

« Atteinte excessive à l’intérêt général »

En ce qui concerne le deuxième manquement grave, le juge évoque le contrôle de la chambre régionale des comptes daté d’avril 2023, qui affirme qu’un livre, Commentaire des quarante hadiths de l’imam An-Nawawi, « est étudié » dans le cadre du cours d’éthique musulmane en classe de seconde. Or dans cet ouvrage sont énoncés des préceptes tels que la peine de mort en cas d’apostasie, l’interdiction pour une femme malade de se faire ausculter par un homme ou le commandement d’éviter la mixité sur le lieu de travail. Cet ouvrage « souligne également la prééminence de la loi divine sur toute autre structure », indique l’ordonnance. Malgré le fait que la défense affirme que cet ouvrage n’a jamais été mis à disposition des élèves, le juge a considéré qu’il était « suffisamment établi que les cours d’éthique musulmane dispensés au lycée reposaient essentiellement » sur ce livre, qui « comporte des appréciations contraires aux valeurs de la République. »

L’avocat lui, répète que « ce livre n’est pas étudié par les élèves » : « Nous avons produit énormément d’attestations d’anciens élèves et de parents qui nous ont dit qu’ils n’avaient aucune idée de ce livre », souligne-t-il. Me Paul Jablonski regrette pourtant que « le tribunal ait considéré que ces attestations n’étaient pas des éléments de preuve sérieux alors que, de l’autre côté, la préfecture et la cour régionale des comptes (…) ne démontrent jamais que ce livre aurait été étudié par les élèves ».

Pour autant, le tribunal a bien considéré que « le maintien de l’application du contrat d’association jusqu’à l’examen du recours au fond de l’association Averroès porterait une atteinte excessive à l’intérêt général ».

Difficile aujourd’hui d’analyser le jugement du tribunal sur le lycée Averroès en le comparant avec des cas antérieurs. De fait, pour la professeure de droit public Stéphanie Hennette-Vauchez, « il est très difficile de situer ce jugement dans un cadre plus général, notamment parce qu’il y a très peu de contentieux de résiliation de contrats dans l’enseignement privé ».