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Réseaux sociaux

Haine en ligne: pourquoi l'interdiction de réseaux sociaux serait difficile à mettre en place

Le gouvernement entend "sécuriser l’espace numérique" grâce à un projet de loi qui prévoit un bannissement temporaire des réseaux sociaux, en cas de condamnation à la suite de publications haineuses.

Pour lutter contre la haine en ligne, le gouvernement compte bien appliquer l’expression "aux grands maux les grands remèdes". Un projet de loi pour "sécuriser et réguler l’espace numérique" va ainsi être prochainement déposé, selon les informations du site L’informé. Un texte qui s’appuie sur les deux règlements européens en matière de sécurité sur internet, le Digital Service Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

Le gouvernement souhaite ainsi créer un texte de loi sur-mesure pour la France qui pourrait conduire à une interdiction pure et simple des plateformes de réseaux sociaux pour les personnes condamnées un délit lié à la haine en ligne (harcèlement, racisme, sexisme etc.), pour une durée de six mois à un an. Selon les informations de Tech&Co, le projet de loi ne comporte à ce stade aucune précision technique sur la façon de mettre en place cette interdiction de réseaux sociaux.

Adresse IP ou mails bloqués?

Première solution possible: le blocage de l’adresse IP de la personne condamnée. Inenvisageable, d’après l’avocat spécialisé Alexandre Archambault.

"L’adresse IP ne fonctionne que sur ordinateur fixe. Or les réseaux sociaux sont généralement utilisés via le téléphone portable, qui comporte une adresse IP variable" tranche-t-il.

Cette solution comporte aussi une grosse limite: avec un tel blocage, si la personne condamnée vit avec d’autres personnes, elles aussi seront privées d’accès aux réseaux sociaux.

Autre solution envisagée: le blocage de l’adresse mail associée au compte de l’utilisateur condamné. Là encore, l'effet risque d'être limité, puisqu’il suffira simplement d’utiliser une autre adresse mail.

Selon Alexandre Archambault, la seule solution qui permettrait d’appliquer efficacement cette loi serait de donner lors de l’inscription une copie de sa carte d’identité, un justificatif de domicile ainsi qu’un numéro de téléphone.

Une solution là encore très théorique, puisque l’avocat rappelle qu’il n’existe "aucune obligation de souscrire à quelconque abonnement sous une véritable identité, sauf dans le domaine de la finance".

"Cela serait également très intrusif. Cette solution voudrait dire que des sociétés étrangères disposent de ces informations, pour des gens lambdas mais aussi pour des politiques ou des célébrités. C’est un vrai problème de sécurité. Est-ce qu’on est prêt à ce qu’une telle base de données se balade dans le monde, aux Etats-Unis ou en Chine?", note l’avocat.

1% de personnes condamnées

Sans compter qu’une loi comme celle-ci n’aurait un impact que très modéré sur le monde numérique. Aujourd’hui, à peine 1% des auteurs de messages haineux sont condamnés par la justice. Pour contrer de manière efficiente le cyberharcèlement, Alexandre Archambault indique ainsi qu’une mesure legislative "franco-française" n’aurait d’impact que si elle était accompagnée d’une initiative européenne.

"Internet est un secteur transnational; ajouter une mesure législative française ne ferait qu’ajouter de la difficulté. Les plateformes, en voyant que la France ne représente qu’1% des utilisateurs, mais 50% des problèmes, pourrait préférer abandonner notre marché", explique l’avocat.

Le problème de la faisabilité de telles lois n’est pas une première pour le gouvernement. Ainsi, la loi sur le blocage les sites pornographiques pour les mineurs s'avère également être un casse-tête. Pour l'heure, le projet de loi sur la haine en ligne est soumis à consultation au Conseil d’Etat, qui devra rendre son verdict sur la possible réalisation de ce projet. Le but: éviter une nouvelle censure massive par la Conseil constitutionnel, comme ce fut le cas pour la loi Avia en 2020.

Julie Ragot