Viande de poulet cultivée en laboratoire : 5 questions sur sa vente autorisée aux États-Unis

Les États-Unis deviennent le deuxième pays, après Singapour, à ouvrir la voie à la viande « in vitro » dans les assiettes. Ils ont autorisé ce mercredi la vente de viande de poulet cultivée en laboratoire.

Eat Just va développer des cuves géantes pour produire de la viande artificielle de poulet et de bœuf à grande échelle. AFP/Eat Just
Eat Just va développer des cuves géantes pour produire de la viande artificielle de poulet et de bœuf à grande échelle. AFP/Eat Just

    Bientôt, certains restaurants américains ajouteront à leur carte du poulet artificiel. Après Singapour, les États-Unis sont devenus mercredi le deuxième pays au monde à autoriser la viande artificielle dans les assiettes. Deux entreprises, Upside Foods et Good Meat, ont en effet obtenu le feu vert pour commercialiser de la viande poulet, cultivée en laboratoire.

    1. La viande artificielle, comment ça marche ?

    La fabrication de viande artificielle de poulet consiste à extraire des cellules d’un animal ou d’œufs de poule fertilisés, et de les cultiver dans des bioréacteurs, sorte de grosses cocottes-minute. En Europe, elles n’excèdent pas 20 000 litres. Les cellules s’y multiplient jusqu’à se transformer en fibres musculaires et graisses.

    Pour cela, elles ont besoin d’énergie, comme un véritable animal : il faut les nourrir avec des protéines, graisses, sucre, minéraux et vitamines. Le tout dans un « milieu » liquide : on doit y retrouver de l’eau, maintenue à une température entre 37 et 39 degrés, car l’objectif est de reproduire l’intérieur d’un utérus. Mais il faut aller plus vite que la nature : ce mode de culture nécessite donc des accélérateurs de croissance.

    Le résultat ? Oubliez le beau filet de poulet. Cela donne plutôt de la pâte, une espèce de mousse pour fabriquer des saucisses, par exemple. Mosa Meat, aux Pays-Bas, l’entreprise la plus avancée sur le bœuf cellulaire, ambitionne de fabriquer du haché pour des burgers. Les spécialistes que nous avons interrogés refusent de parler de « viande ».

    2. Est-ce aussi bon d’un point de vue gustatif et nutritionnel que la viande naturelle ?

    De grandes incertitudes demeurent sur les bienfaits nutritionnels de la viande « in vitro ». « On est loin d’un vrai muscle, qui mêle fibres, vaisseaux sanguins, nerfs… Or, c’est cette complexité qui donne à la viande ses propriétés nutritionnelles, en particulier la présence de fer héminique, de vitamine B12, de divers acides gras », explique Jean-François Hocquette, physiologiste et spécialiste des produits animaux à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Et « on est encore plus loin de la viande, qui combine la complexité du muscle et la maturation. »

    Il est aujourd’hui impossible de vérifier la qualité nutritionnelle des produits issus de « cellules musculaires cultivées », selon plusieurs études (Frontiers in Nutrition et Meat Science, 2023). Fabriqués en quantité insuffisante, ces aliments ne peuvent pas faire l’objet d’évaluation.

    Quant à leur goût, il serait similaire à celui d’une viande naturelle : la cheffe française étoilée Dominique Crenn a passé commande à Upside Foods pour son restaurant à San Francisco, dans la foulée de l’annonce de l’autorisation. Et le célèbre chef José Andrés devrait obtenir la première fournée de l’entreprise Good Meat, qui sera servie dans l’un de ses restaurants de la capitale Washington.

    « Lorsque j’ai goûté pour la première fois au poulet d’Upside, j’ai immédiatement perçu son potentiel en tant qu’avenir de la nourriture. De la texture à l’arôme, en passant par la façon dont il se cuisine, le poulet Upside est tout simplement délicieux et je suis ravie que tout le monde en fasse l’expérience », confie au Parisien Dominique Crenn.

    Toutefois, « la saveur et la tendreté de la viande proviennent du processus de maturation », nuance Jean-François Hocquette. Et pour l’instant, les produits carnés in vitro sont « pauvres en myoglobine, donc en fer, et doivent être assaisonnés avec de nombreux ingrédients pour se rapprocher du goût de la viande. »

    3. Comment évaluer ses impacts sur la santé ?

    Les risques pour la santé de l’homme restent inconnus. Dans une tribune du Monde publiée en février, une soixantaine de scientifiques alertent sur la commercialisation prématurée de la viande de synthèse, alors que les données et les évaluations sont trop faibles. « Les dangers potentiels peuvent être chimiques (antibiotiques, métaux lourds), physiques (corps étrangers), microbiologiques (bactéries), allergènes, ou génétiques », énumèrent-ils.

    Autre obstacle aux évaluations sanitaires : les entreprises du secteur manquent de transparence sur leurs résultats, par crainte de la concurrence commerciale. « Comment vont réagir les cellules dans de plus gros bioréacteurs ? Comment maintenir un milieu aseptisé dans un complexe industriel, sans utiliser d’antibiotique ? Il y a encore beaucoup d’interrogations sur lesquelles les industriels ne souhaitent pas répondre pour protéger leur recette, constate le sénateur Olivier Rietmann, co-rapporteur d’une mission d’enquête sur les aliments cellulaires. Les industriels n’ont pas réussi à nous expliquer la nuance entre hormone et accélérateur de croissance, par exemple. »

    À l’issue d’une expertise en 2022, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a recensé une cinquantaine de points de vigilance : la composition du milieu de culture ou encore la stabilité génétique des cellules font partie des zones d’ombre.

    4. En quoi est-ce bon pour l’environnement ?

    Argument phare des entreprises du secteur, les bienfaits pour l’environnement ne font pourtant pas consensus. La viande de synthèse présente des atouts incontestables : il n’y aurait plus besoin d’abattre des animaux, ce qui réduirait aussi l’empreinte carbone de l’élevage, ainsi que la surface de terres agricoles, au profit de forêts, par exemple.

    Concernant l’émission de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie, le bilan est beaucoup moins glorieux. Deux études, publiées en 2011 et en 2015, concluent que la culture de viande in vitro serait même plus énergivore que l’élevage de volaille ou de porc, en raison du chauffage des incubateurs. Toutefois, son pouvoir réchauffant global resterait inférieur à celui de l’élevage de bœuf, car les ruminants contribuent largement au réchauffement climatique en émettant du méthane.

    Mais en 2019, une troisième étude met à mal cette rhétorique : pour fonctionner et maintenir l’eau à haute température, les incubateurs ont besoin d’énergie fossile, elle-même émettrice de CO². Or, le CO² est plus persistant dans l’atmosphère que le méthane. Sur le long terme, la culture artificielle pourrait donc avoir un effet de réchauffement équivalent, voire supérieur, à celui engendré par la production de viande bovine.

    5. Pourrait-on un jour manger de la viande de laboratoire en France ?

    Peut-être, mais pas avant 2026. Aucune entreprise n’a déposé de demande d’autorisation pour le marché européen, et même si l’une d’entre elles le faisait cette année, le processus de validation de la Commission européenne prendrait environ trois ans. « Les entreprises ne sont pas prêtes pour le marché européen, car la législation est plus stricte », explique Olivier Rietmann. Les hormones sont interdites dans l’alimentation, contrairement aux États-Unis.

    En Europe, la mise sur le marché de ce produit sera encadrée par la législation « Novelfood », car la viande in vitro est considérée comme un nouvel aliment, précise Jean-François Hocquette. Il faudra au préalable prouver son innocuité, y compris pour le matériel utilisé (plastiques, etc.) et le milieu de culture.

    La France n’a donc aucun pouvoir de décision : si l’UE autorise les aliments cellulaires dans nos assiettes, aucun État membre ne peut s’y opposer. En conclusion de leur mission d’enquête, les sénateurs ont émis un avis défavorable sur le principe, tout en préconisant d’investir dans la recherche « pour savoir de quoi on parle au moment où la France sera consultée par la Commission européenne », poursuit Olivier Rietmann. Et pour ne pas rater le train : « Si l’autorisation est donnée, il vaudra mieux manger des produits européens, voire français. »