L’horizon s’éclaircit au Sénégal

DÉCRYPTAGE. Un nouveau Premier ministre, une nouvelle date d’élection et une loi d’amnistie votée : après un mois de crise politique, le calendrier électoral s'accélère.

Par , à Dakar

Le président Sall a causé un choc dans un pays présenté comme l'un des plus stables d'une Afrique de l'Ouest secouée par les coups de force en décrétant le 3 février le report de l'élection prévue le 25 février. 
Le président Sall a causé un choc dans un pays présenté comme l'un des plus stables d'une Afrique de l'Ouest secouée par les coups de force en décrétant le 3 février le report de l'élection prévue le 25 février.  © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

Temps de lecture : 7 min

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La soirée du mercredi 6 mars aura été riche en décisions politiques pour l'avenir du Sénégal ! Réunis en séance plénière à l'Assemblée nationale depuis la matinée, les députés votaient ce jour-là la proposition de loi sur l'amnistie générale concernant les faits survenus lors des manifestations politiques entre février 2021 et 2024, proposée en procédure d'urgence par le président Macky Sall afin « d'apaiser le climat politique et social » et de « renforcer la cohésion sociale ». Depuis début février et la décision du président de reporter l'élection présidentielle initialement prévue le 25 février, le Sénégal vit une crise sans précédent, avec un pouvoir fortement contesté.

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Suscitant de nombreuses polémiques et agitant la sphère politique mais aussi la société civile et les organisations des droits de l'homme depuis plus d'une semaine, le vote de cette loi promettait de s'éterniser et d'être tumultueux. Avant d'acter celui-ci et les interventions à la tribune de plus de 80 députés, une courte pause avait été décidée qui s'est vite prolongée face à une accélération inattendue d'annonces : saisi lundi, le Conseil constitutionnel a rejeté les préconisations du dialogue national qui prônait une élection le 2 juin et la réouverture de la liste des candidats au-delà des 19 déjà validés. Quelques minutes après seulement, le gouvernement annonçait dans un communiqué la tenue du premier tour de l'élection présidentielle le 24 mars 2024, mettant fin au suspense interminable de ces dernières semaines. Dans le même temps, le Premier ministre, Amadou Ba, quittait ses fonctions pour se consacrer à sa campagne électorale, et était remplacé par le ministre de l'Intérieur, Sidiki Kara.

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L'élection fixée avant la fin du mandat de Macky Sall

Le brouillard persistant qui flottait autour de la tenue de l'élection présidentielle semble enfin s'être dissipé, mercredi soir. Les Sénégalais sont ainsi appelés aux urnes le 24 mars pour le premier tour du scrutin. Un choix qui balaye les propositions émises lors du dialogue national qui s'est tenu les 26 et 27 février derniers pour tenter de trouver une sortie de crise à la situation. Celles-ci proposaient la date du 2 juin pour la tenue de l'élection ainsi qu'une transition effectuée par le président pour une passation du pouvoir à son successeur. Ils avaient également préconisé la réouverture de la liste des candidats tout en conservant les 19 déjà validés. Un moyen d'ouvrir la voie aux candidats recalés, dont Karim Wade du Parti démocratique sénégalais (PDS), pour espérer être réintroduits. Mais le Conseil constitutionnel, saisi par le président pour avis consultatif, en a jugé autrement. « La date du scrutin de l'élection présidentielle ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat qui arrive à son terme le 2 avril 2024 », a rappelé l'institution dans sa décision signée du 5 mars avant d'insister : « Seuls les 19 candidats retenus participent au scrutin », fermant définitivement la porte à Karim Wade. La décision a été saluée par l'opposition qui avait refusé de participer au dialogue et rejetait ses conclusions en réclamant une élection avant le 2 avril. « La décision du Conseil constitutionnel nous réconcilie avec la tradition démocratique sénégalaise. Je suis très fière du Conseil, il a joué son rôle et dit le droit. Cela donne de l'espoir », a félicité Mamadou Lamine Diallo, candidat à la présidentielle. Dans le camp de l'Alliance pour la République (APR), on assure que ce rejet « ne signifie absolument rien ». « Le Sénégal est un pays où les institutions fonctionnent. Nous sommes républicains, nous nous conformons aux décisions », justifie Abdou Mbow, le porte-parole du parti présidentiel.

Si le président a choisi la date du 24 mars, le Conseil constitutionnel a, lui, proposé celle du 31 mars. Reste à voir comment les deux institutions s'accorderont. Car avec la première date, une problématique se pose : la loi électorale qui prévoit une campagne électorale de 21 jours avant la tenue du premier tour, et 14 jours pour le second tour, ne pourra pas être respectée dans ce cas de figure. « Le 24 mars change le format de l'élection présidentielle : les Sénégalais n'ont pas le temps de voir les candidats, les programmes… Les délais de la campagne seront raccourcis et tout est chamboulé. Cela impactera forcément le prochain mandat », assure Aba Mbaye, député du parti Taxawu du candidat Khalifa Sall. Même si la durée de la campagne l'affecte, Mamadou Lamine Diallo est certain qu'il « vaut mieux cela qu'avoir une élection en juin » ! À son image, les candidats ont désormais le regard fixé sur leur campagne électorale qu'ils doivent débuter le plus rapidement possible pour ne perdre aucun des jours dont ils disposent.

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La loi d'amnistie votée

Avec 94 voix pour, majoritairement de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) soutenu par des députés PDS, contre 49 voix contre, en majorité de l'opposition dont l'ex-Pastef ainsi que des voix du PDS, la loi a été votée dans la soirée du 6 mars. La loi prévoit que sont concernés « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle commise entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu'à l'étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites sur tous les supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non ». Plus de 400 détenus dits « politiques », toujours incarcérés pour avoir participé ou être suspectés d'avoir participé à des manifestations, sont notamment concernés. Pourtant, avant même le vote de la loi, depuis plusieurs semaines des vagues de libérations ont permis à un certain nombre de sortir de prison.

Présenté comme une mesure de décrispation, le projet de loi d'amnistie avait été soumis par le président Macky Sall lors de l'ouverture du dialogue national le 26 février avant d'être adopté en conseil des ministres, deux jours plus tard. Le sujet est clivant et très critiqué. « Cette loi n'est pas en faveur du peuple, mais du camp présidentiel. Ce n'est pas une loi d'amnistie, mais une loi d'amnésie, une loi d'impunité. C'est un permis d'assassiner », a déploré le député d'opposition Guy Marius Sagna, réclamant « la justice pour ceux assassinés, torturés et blessés ». Plusieurs députés se sont interrogés sur l'urgence de ce vote, jugeant qu'elle « arrive au mauvais moment », selon Aba Mbaye et qu'elle est adoptée dans la précipitation. « Le président veut laisser le pays en paix avant de partir », a justifié Aissata Tall Sall, ministre de la Justice, chargée de porter la loi à l'Assemblée nationale. Pour certains, la réconciliation voulue par Macky Sall ne pourra avoir lieu que sous son successeur. Au sein de la majorité présidentielle, l'unanimité non plus n'était pas au rendez-vous avec plusieurs voix qui avaient laissé exprimer leur désapprobation en amont du vote.

Surtout, c'est l'abandon des charges à l'encontre des auteurs de faits graves (décès par balle) et leur impunité qui inquiète. « La loi souille la mémoire des victimes des événements dramatiques que l'on cherche à effacer », déplore Khalifa Sall, ancien maire de Dakar et candidat. Nombreux sont les députés de l'opposition à réclamer que vérité soit faite et justice rendue avant l'amnistie afin de situer les responsabilités. Entre 2021 et 2024, le Sénégal a été secoué par des émeutes meurtrières déclenchées à la suite de la poursuite du principal opposant politique, Ousmane Sonko, dans une affaire de viols. En février 2024, c'est la décision de reporter l'élection présidentielle qui a conduit à une grave crise. Selon Amnesty International, une soixantaine de personnes seraient décédées lors de ces événements tragiques. L'ONG a déploré un « déni de justice pour les victimes et leurs familles qui attendent justice, vérité et réparation », réclamant l'ouverture d'enquêtes, notamment sur la répression violente exercée par les forces de sécurité dans les manifestations. Une dizaine de familles a déjà porté plainte sans avoir reçu pour l'heure aucun retour. Les familles des victimes ont déploré cette loi. « On ne va pas laisser passer, l'État nous trahit. Il faut que justice soit faite », tempête Abdoulaye Djibril Sylla, dont le cousin de 22 ans, Alpha Yero Tounkara, a été tué par balle lors d'une manifestation à Saint-Louis, le 9 février. Selon la garde des Sceaux, « le pardon est au-dessus de la réparation ». « Il faut pardonner et regarder vers l'avenir », a-t-elle dit, en invitant les Sénégalais à « faire preuve de dépassement » pour permettre la réconciliation nationale.

La loi d'amnistie devrait profiter à Ousmane Sonko, arrivé troisième à la présidentielle de 2019, et lui permettre de retrouver la liberté. Si son incarcération, depuis juillet 2023, entre dans le cadre de la loi d'amnistie, ses deux autres condamnations, l'une pour diffamation et l'autre pour corruption de la jeunesse dans une affaire de viols, sont moins certaines d'être concernées par le champ d'application de la loi. Avec la décision du Conseil constitutionnel, il reste de fait exclu de la course à la présidentielle. En revanche, Bassirou Diomaye Faye, son dauphin et candidat pour 2024, incarcéré depuis avril 2023 pour « outrage à magistrat », devrait pouvoir mener sa campagne électorale en étant rapidement libéré.

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