Destructions de bidonvilles, expulsion de migrants vers les Comores… Ce que l’on sait sur l’opération « Wuambushu » à Mayotte

Dans le bidonville Talus 2, à Mayotte, le 19 février 2023.

Dans le bidonville Talus 2, à Mayotte, le 19 février 2023. MARION JOLY / AFP

L’opération policière et militaire vise à expulser de l’archipel les étrangers en situation irrégulière. Selon le ministre de l’Intérieur, l’opération a déjà commencé.

L’opération « secrète » ne l’est plus. La France s’apprête à déclencher dans les prochains jours une série d’interventions policières contre la délinquance et l’immigration illégale à Mayotte, en procédant à des expulsions massives d’étrangers en situation irrégulière et à des destructions de bidonvilles.

Révélée fin février par « le Canard enchaîné », l’opération « Wuambushu » qui n’avait jamais été officialisée par le gouvernement, a été confirmée par Gérald Darmanin vendredi dans une interview au « Figaro », puis sur Franceinfo. Le ministre de l’Intérieur a démenti le lancement lundi et pour une durée de deux mois de l’opération, avancé par la presse. « Il n’y a pas un moment où on la commence et un moment où on la termine », a-t-il ajouté, affirmant même que « Wuambushu » avait « déjà commencé ».

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  • C’est quoi, l’opération « Wuambushu » ?

« Wuambushu », qui signifie « reprise » en mahorais, a pour objectif d’expulser les étrangers en situation irrégulière, qui vivent dans les bidonvilles de Mayotte, vers l’île comorienne d’Anjouan, située à 70 kilomètres à vol d’oiseau.

« Il y a 1 800 policiers et gendarmes en ce moment même à Mayotte qui font des opérations de police, qui mettent fin au trafic d’armes, qui mettent fin aux bandes criminelles », dont 60 ont été dénombrées, ajoute le ministre de l’Intérieur, cité par l’AFP. Au total, plus de 2 500 personnels (forces de l’ordre, agence régionale de santé, justice, réserve sanitaire) sont mobilisés, selon une source proche du dossier.

L’objectif du ministère de l’Intérieur est de détruire les bidonvilles et d’expulser les personnes en situation irrégulière. Gérald Darmanin a affirmé ce vendredi n’avoir aucun objectif concernant le nombre d’expulsions.

« Nous allons détruire l’écosystème de ces bandes criminelles, qui utilisent les migrants, et mettre fin aux complicités qui existent au sein même du territoire mahorais », explique Gérald Darmanin dans une interview donnée au « Figaro ».

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  • Comment l’Etat justifie-t-il cette opération ?

De nombreux migrants africains, et notamment comoriens, tentent chaque année de rallier clandestinement Mayotte, où la moitié de la population est étrangère, selon le HuffPost. Ces traversées, effectuées sur des petites embarcations de pêche à moteur utilisées par les passeurs, appelées kwassa-kwassa, prennent souvent un tour dramatique avec de fréquents naufrages.

Dans son bilan trimestriel, la préfecture de Mayotte indique que 2 255 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en mer entre le 1er janvier et le 31 mars 2023, et 6 507 personnes ont été reconduites à la frontière.

Gérald Darmanin évoque dans « le Figaro » une démographie « non contrôlée » qui « mène à la ruine des services publics ». Et d’insister sur la délinquance importante à Mayotte, mais aussi sur l’insécurité de l’île et sur son personnel soignant contraint de retourner en métropole. « C’est une situation de délinquance aggravée à laquelle nous devons répondre avec une grande fermeté », insiste-t-il.

  • Quelles conséquences pour l’île ?

Le personnel de santé présent à Mayotte s’est exprimé début avril dans « Mayotte Hebdo », à travers une tribune à l’attention de François Braun, ministre de la Santé, sur l’opération « Wuambushu » affirmant que des « conséquences dramatiques » pourraient en découler.

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Selon les soignants, une intervention de cette envergure pourrait générer, comme cela a déjà eu lieu par le passé, des situations à haut risque épidémique dans les zones d’hébergements d’urgence, créer une rupture d’eau potable, limiter les accès aux soins avec de nombreux retards de prise en charge ou encore isoler des enfants malades.

Le journaliste Cyril Castelliti, correspondant sur place, notamment pour « le Monde » et Mediapart, a publié des images montrant que des habitants de bidonville avaient « pris les devants en détruisant d’eux-mêmes leurs cases ».

Cependant, selon La 1re, chaîne de télé régionale, cinq collectifs mahorais (deux collectifs citoyens de Mayotte, le collectif Ré-MaA, les Femmes leaders, et le comité de défense des intérêts de Mayotte) ont cosigné un courrier au gouvernement pour s’assurer du maintien de « Wuambushu ».

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La députée de la première circonscription de Mayotte, Estelle Youssouffa, a exprimé sur la chaîne d’info La 1re, son soutien à l’opération. A l’instar du député LR de la 2e circonscription, Mansour Kamardine, qui a affirmé le 11 avril que la population était également en sa faveur en raison de la délinquance importante sur l’île.

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  • L’opération critiquée par diverses associations

Néanmoins, l’opération fait également polémique dans l’Hexagone, et certaines associations s’inquiètent des conséquences humaines qu’elle pourrait engendrer.

La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) appelle ainsi « les autorités à faire cesser cette escalade de la violence et demande aux responsables sur place de faire respecter l’Etat de droit ».

L’Unicef, ainsi que la Commission nationale des Droits de l’Homme ont également réagi et s’inquiètent du respect des droits dans le cadre de cette opération.

« A ceux qui, de Paris, nous critiquent, je veux dire que les Mahorais ne sauraient être délaissés : ils ne sont pas des “sous-Français” », leur a répondu Gérald Darmanin jeudi.

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  • Qu’en pensent les Comores ?

Le gouvernement comorien est fermement opposé à l’opération lancée par la France. Les autorités craignent un risque de violence accru et plusieurs responsables locaux redoutent de ne pouvoir la stopper. Ce vendredi, les Comores ont remis la pression sur la France en déclarant : « Les Comores n’entendent pas accueillir des expulsés issus de l’opération projetée par le gouvernement français à Mayotte », a déclaré Houmed Msaidie, joint par l’AFP.

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« Nous n’avons pas les moyens d’absorber cette violence fabriquée depuis Mayotte par l’Etat français. Une situation aussi complexe ne peut se régler de manière aussi déroutante », déplorait, en milieu de semaine, auprès de l’AFP le gouverneur d’Anjouan, Anissi Chamsidine.

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