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Finances publiques

Déficit record: quelles conséquences pour l'économie française?

L'Insee vient d'annoncer que le déficit public a finalement atteint 5,5% du PIB en 2023. Et la trajectoire pour les années à venir est loin d'être rassurante alors que la Cour des comptes estime que la France sera le "seul pays parmi les principaux de la zone euro "à ne pas avoir un déficit sous les 3% en 2026".

Réunion de crise à l'Élysée. Mercredi, Emmanuel Macron a consulté ses ministres et sa majorité pour évoquer le dérapage des finances publiques qui menace la crédibilité de la France à quelques semaines du verdict des agences de notation.

Exit la prévision de déficit public à 4,9% du PIB pour 2023: il a finalement atteint 5,5% du PIB en 2023, a dévoilé ce mardi l'Insee, soit quelque 18 milliards d'euros de plus que ce qu'avait prévu le gouvernement, compliquant l'objectif de désendettement pourtant réaffirmé mardi par le ministre de l'Economie.

Quoi qu'il en soit, l'objectif d'un déficit ramené à 4,4% en 2024 apparaît désormais plus qu'improbable. La faute à une "conjoncture internationale plus difficile" en raison "du ralentissement chinois", de "la guerre en Ukraine" et des difficultés de nos "partenaires européens" comme l'Allemagne, a assuré Thomas Cazenave, martelant que la France n'était pas "la seule" à avoir dégradé ses prévisions économiques.

Certes. Il n'empêche que la France fait figure de mauvaise élève par rapport à ses principaux voisins. D'abord parce qu'elle serait la seule grande économie de la zone euro avec l'Italie à avoir un déficit supérieur à 5% en 2023. Ensuite parce que sa dette, attendue à 109,7% du PIB en 2024 ne redescendrait qu'à 108,1% à la fin du quinquennat. Des ratios qui récompenseraient sans doute l'Hexagone d'une médaille dans un monde où le dérapage budgétaire serait discipline olympique: "On est solidement installé sur le podium des trois pays les plus endettés de la zone euro" aux côtés de la Grèce et de l'Italie rappelait il y a quelques jours le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.

Trajectoire préoccupante

Les Sages de la rue Cambon, rapport après rapport, n'ont cessé d'alerter sur la trajectoire des finances publiques. Ils déplorent le manque d'ambition du gouvernement pour enrayer la tendance alors que la France reste deux ans après la sortie de la crise sanitaire "l'un des pays de la zone euro dont la situation des finances publiques et la plus dégradée et dont les objectifs de rétablissement sont les plus étalés dans le temps".

L'an dernier déjà, la Cour des comptes assurait que la France serait le seul pays parmi les principaux de la zone euro "à ne pas avoir un déficit sous les 3% en 2026", alors même que certains de nos voisins "comme l'Italie et l'Espagne partent de niveaux de déficits de déficits plus élevés que la France".

Ce 26 mars, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a regretté le dérapage "important" et "très, très rare" du déficit de la France.

Les Experts : Dette/déficit, l'Élysée s'inquiète - 21/03
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Mercredi 19 mars, l'Espagne a justement annoncé avoir ramené son déficit public à 3,7% et réduit sa dette à 107,7% du PIB. Mais ce n'est pas le seul pays à avoir déjà entamé le rétablissement des comptes publics. Son voisin portugais qui affichait un taux d'endettement plus élevé que la France au début de la crise sanitaire se retrouve aujourd'hui à peu près au même niveau et "vise un endettement de 95,6 points du PIB" en 2026, soit "près de 15 points de PIB inférieur à celui de la France", soulignait la Cour des comptes dans un rapport publié mi-2023.

Les comparaisons des magistrats sont sévères pour l'Hexagone, très loin du groupe de bons élèves "frugaux" constitué par l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche qui conserveraient un endettement inférieur à 80% du PIB cette année et un déficit structurel "nettement sous les 3%". Les Sages placent plutôt la France dans le second groupe, aux côtés de l'Italie et de la Belgique qui, eux, ont "nettement creusé leur déficit structurel, qui excéderaient encore 4% du PIB en 2024". Au final, la France "serait toujours en 2026 près de 12 points de PIB au-dessus de son niveau d'avant-crise en 2019, et cet écart serait le plus important des huit principaux pays de la zone euro".

La France sur "le même chemin que la Grèce"?

Les oppositions ne se sont pas fait prier pour attaquer la gestion du gouvernement, taxé d'"incompétence" budgétaire. "Cette gestion calamiteuse des finances publiques doit être censurée", a indiqué le patron des Républicains Eric Ciotti qui accuse Emmanuel Macron d'avoir ajouté "900 milliards d'euros de dette supplémentaires" depuis son arrivée au pouvoir en 2017, avec une charge de la dette qu'il chiffre à "57 milliards d'euros en 2024". "L'heure de vérité est arrivée: nous empruntons le même chemin que la Grèce", a ajouté le député des Alpes-Maritimes.

La situation serait-elle si grave? "Évidement non, on n'est pas dans la même situation que la Grèce, ça n'a rien à voir", rétorque sur BFM Business Philippe Mutricy, directeur des études de BPI France. Pour lui, cela n'a pas de sens de "comparer la situation de la Grèce avec la situation de la France, que ce soit en 2012 ou maintenant". "La taille du PIB n'est pas la même, la capacité à lever l'impôt n'est pas la même. C'était la grande difficulté de la Grèce à l'époque".

"Pour autant, ce qui est en train de se passer est important. On est en train de sortir de la parenthèse enchantée du 'quoi qu'il en coûte'", ajoute-t-il. Et alors que la Commission européenne a rétabli les mécanismes de contrôle de déficit, "il est fort probable qu'on se retrouve en procédure de déficit excessif l'année prochaine", ce qui "met une forme de pression et remet ce sujet à l'ordre du jour".

Le dérapage budgétaire fait aussi planer le risque d'une dégradation de la note des agences de notation qui se prononceront sur la capacité de la France à rembourser sa dette les 26 avril et 31 mai. Mais "cela ne changera pas grand chose", estime l'économiste Christian de Boissieu, pour qui "les juges de paix seront les taux d'intérêt exigés par les marchés". "Aujourd'hui, la France paye 2,9% pour s'endetter à dix ans, les Grecs c'est 3,60%", précise-t-il à cet égard.

Il appelle toutefois à "un sursaut économique et politique" sur la question budgétaire, jugeant "qu'on tourne autour du pot sur le thème de l'efficacité des finances publiques". D'autant que dans les conditions actuelles, il "va être compliqué de financer tout ce qu'il faut financer", à savoir "la défense et la sécurité", mais aussi "la transition énergétique et écologique, l'éducation et la santé".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco