Le projet de loi, adopté par 352 voix contre 65, a reçu le soutien de “l’écrasante majorité” des parlementaires, unis dans un rare élan bipartisan pour “sévir contre l’application”, observe le Wall Street Journal. Preuve supplémentaire de sa popularité, le texte “est arrivé à la Chambre en un temps record, après avoir été approuvé à l’unanimité en commission, où la discussion n’a duré qu’une semaine”, précise La Stampa.
La proposition des représentants, qui devra encore être adoptée par le Sénat, puis promulguée par le président américain Joe Biden, donne six mois au groupe chinois ByteDance pour vendre TikTok aux États-Unis, sous peine d’être exclue des boutiques d’applications d’Apple et de Google sur le territoire américain.
C’est peu ou prou ce qu’avait cherché à obtenir Donald Trump en 2020, lorsqu’il était à la Maison-Blanche, mais le projet avait alors été bloqué par les tribunaux.
TikTok estime que le projet de loi s’apparente “de fait à une interdiction, car séparer l’application de sa partie américaine” ne serait simplement “pas viable”, rapporte le Wall Street Journal. “Nous espérons que le Sénat va prendre en compte les faits, écouter ses administrés et réaliser l’effet [d’une interdiction] sur l’économie”, a réagi la plateforme.
Atteinte à la liberté d’expression
Les autorités américaines affirment que, grâce à TikTok, Pékin peut collecter des milliards de données sur les utilisateurs Américains et influencer l’opinion publique. Des accusations rejetées depuis des années par la plateforme, qui assure n’avoir aucun lien avec le gouvernement chinois.
Cité par NBC News, le président républicain de la Chambre, Mike Johnson, s’est félicité du vote de mercredi, qui “montre l’opposition du Congrès aux tentatives de la Chine communiste d’espionner et de manipuler les Américains, et constitue un signe de notre détermination à dissuader nos ennemis [de nous nuire]”.
Des arguments insuffisants pour les élus opposés au texte – eux aussi de tous bords, puisqu’on y trouve la championne de l’aile gauche du Parti démocrate Alexandria Ocasio-Cortez et la trumpiste Marjorie Taylor Greene –, qui dénoncent entre autres la précipitation du processus législatif et une atteinte à la liberté d’expression.
La semaine dernière, dans l’espoir de faire plier la Chambre, “TikTok avait envoyé des notifications aux utilisateurs américains, leur demandant d’appeler leurs représentants pour qu’ils bloquent l’interdiction”, raconte Gizmodo. La démarche “a eu l’effet inverse, en provoquant la colère des membres du Congrès, inondés d’appels téléphoniques”, mais elle a aussi “mis en évidence l’emprise de TikTok sur les Américains”, remarque le site.
Impact sur la présidentielle ?
De fait, la plateforme de vidéos compte quelque 170 millions d’utilisateurs aux États-Unis, et si elle permet à ces derniers “de communiquer avec d’autres utilisateurs, de s’informer, de se divertir et de faire des affaires”, elle est “aussi devenue un mode de vie pour ces milliers d’utilisateurs, qui se font appeler ‘créateurs de contenu’”, souligne El País.
Ces tiktokeurs professionnels sont eux aussi montés au créneau en demandant notamment à leurs abonnés de faire du bruit au Congrès, car “quand on compte sur la plateforme pour gagner sa vie, une nouvelle menace d’interdiction de TikTok n’a rien de drôle”, remarque TechCrunch.
Interrogée par le site, la créatrice de contenu Sarah Philips considère même que “l’incapacité des législateurs à prendre au sérieux les préoccupations des utilisateurs de TikTok pourrait avoir des conséquences majeures sur le prochain cycle électoral”.
“Il y a un certain nombre de sujets sur lesquels le Congrès pourrait se concentrer en ce moment”, et cette nouvelle menace d’interdiction de TikTok “ressemble beaucoup à une gesticulation politique”, déclare-t-elle. “Je ne vois pas comment cela pourrait ne pas avoir d’impact sur l’élection.”
“Bal des hypocrites”
Le Temps a justement observé “l’attitude des deux candidats à la présidentielle américaine face à TikTok”. Et pour le titre suisse, c’est le “grand bal des hypocrites”.
“D’un côté, Joe Biden a apporté son soutien à ce projet de loi”, affirmant que “si la loi devait être adoptée par les parlementaires, il la signerait. Rappelons que Joe Biden vient de faire ses débuts sur TikTok, avec l’ambition de draguer une partie des jeunes adultes qui sont accros à ce réseau social”, ironise le quotidien.
“En face, il y a Donald Trump”, qui “s’est érigé contre Joe Biden à ce sujet, et donc contre sa propre décision de 2020”, quand il cherchait lui aussi à interdire TikTok. La raison de ce revirement ? L’ancien président estime que la disparition de TikTok profiterait à Mark Zuckerberg, le patron de Meta, qu’il abhorre et qualifie de “véritable ennemi du peuple”.
Le New York Times, pour sa part, ne s’inquiète guère du sort de la plateforme, assurant qu’elle “n’est pas près de disparaître de nos smartphones”.
Le quotidien américain relève que le vote du Sénat, quelque peu “sceptique” face au texte proposé par la Chambre, est loin d’être acquis. Et même si la loi finit par être promulguée, “TikTok ou quelqu’un d’autre contestera probablement sa légalité devant les tribunaux”, ce qui promet de longues années de batailles juridiques.