Des soldats ukrainiens tirent un coup d'artillerie en direction d'Avdiivka, dans l'oblast de Donetsk, en Ukraine, le 18 février 2024.

Des soldats ukrainiens tirent avec un canon d'artillerie en direction d'Avdiivka, dans l'oblast de Donetsk, en Ukraine, le 18 février 2024.

Anadolu via AFP

Ce 24 février, cela fera deux ans que l’armée ukrainienne se défend contre l’invasion russe déclenchée par Vladimir Poutine. Deux ans d’âpres combats, de la première percée repoussée aux portes de Kiev au carnage humain de Bakhmout, de l’espoir déchu de la contre-offensive à l’été dernier à une nouvelle guerre de positions depuis l’automne.

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A l’approche de la troisième année de guerre, l’armée ukrainienne se retrouve néanmoins particulièrement en difficulté. Elle a dû céder le contrôle d’Avdiivka, cette cité industrielle à l’est du pays qu’elle défendait de façon acharnée des assauts incessants de l’armée russe. Surtout, elle fait face à un soutien occidental toujours hésitant et insuffisant. L’Express revient sur les enjeux actuels majeurs d’une guerre qui est peut-être en train de connaître un tournant.

Le bilan incertain de la défaite d’Avdiivka

Quel sera l’impact de la défaite de la bataille d’Avdiivka ? Alors que l’armée ukrainienne a été forcée de battre retraite le week-end dernier de la cité fortifiée à l’est du pays, devenue au fil des mois le nouvel épicentre des combats entre les deux camps, vient l’heure d’un premier bilan et des futures conséquences de cette bataille.

Selon Oleksandr Tarnavsky, le commandant général ukrainien du secteur, 47 000 Russes auraient été tués ou blessés en quatre mois de bataille à Avdiivka, un chiffre impossible à vérifier. A titre de comparaison, les sources occidentales estiment que depuis le début de la guerre, le bilan russe se situerait autour des 350 000 tués ou blessés.

Carte de la ligne de front autour de la ville d'Avdiïvka, en Ukraine

Carte de la ligne de front autour de la ville d'Avdiïvka, en Ukraine

© / AFP

De leur côté, les forces ukrainiennes ne communiquent évidemment pas sur le nombre de leurs victimes. Pourtant, elles pourraient également avoir été importantes. Selon le New York Times, la périlleuse retraite d’Avdiivka, sous le feu des tirs et des projectiles russes, aurait entraîné la capture ou la disparition d’entre 850 et 1 000 soldats, selon deux soldats ukrainiens informés de l’opération. Des pertes importantes aussi bien sur le plan humain (avec la perte de soldats expérimentés) que symboliques pour l’armée de Kiev, dont le moral pourrait continuer à s’effriter après l’échec de la contre-offensive de l’été dernier, et qui fait toujours face à d’importantes difficultés pour recruter et régénérer son armée.

Mais selon The Institute for the Study of War (ISW), qui étudie le conflit de jour en jour, ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. Selon leurs analystes, aucune preuve à leur disposition ne confirmerait ces pertes massives, sans pour autant prouver qu’elles seraient impossibles. Enfin, la communication sur la "retraite chaotique" d’Avdiivka reste largement instrumentalisée par le Kremlin pour amplifier sa victoire et essayer de semer la zizanie entre l’armée ukrainienne et sa chaîne de commandement.

La difficile percée russe au-delà d’Avdiivka

C’est une inquiétude du côté ukrainien. L’armée russe peut-elle continuer sa percée après Avdiivka ? Ces derniers jours, des frappes russes ont été signalées dans le secteur, alors que les forces de Kiev sont en train de reformer leurs lignes dans les villages avoisinants, qui craignent d’être la prochaine cible des attaques.

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Du côté ukrainien, on ne croit néanmoins pas pour l’instant à l’hypothèse d’une grande percée russe. Pour le commandant adjoint ukrainien Rodion Kudriashov, cité par The Economist, l’armée russe ne serait actuellement pas en capacité de poursuivre son avancée depuis Avdiivka, au moins sur le court terme. L’ISW rapportait de son côté ce lundi que les forces russes devraient "probablement marquer une pause opérationnelle" avant de reprendre son offensive depuis Avdiivka, ou bien "transférer des renforts supplémentaires d’autres secteurs du front".

Une analyse alimentée par un constat : la prise d’Avdiivka, comme souligné par la majorité des experts, ne constitue pas un chamboulement stratégique de la région. La cité industrielle, laissée en ruines par les mois de combats, fut le cimetière d’une part importante de l’armée russe. De quoi faire voir à des officiels américains cités par le New York Times que les gains russes dans l’est de l’Ukraine n’entraîneront pas nécessairement l’effondrement des lignes ukrainiennes. Même le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou, habituellement peu avare en hyperboles pour exagérer ses succès, n’a d’ailleurs pas revendiqué un quelconque avantage opérationnel à la prise d’Avdiivka.

Pour les experts de l’ISW, les forces russes auraient même "probablement établi une domination aérienne temporaire limitée et localisée" ces dernières semaines à Avdiivka. Celle-ci serait aujourd’hui mise en avant et détournée par la Russie comme une supériorité pérenne afin de "présenter l’offensive russe en Ukraine comme de plus en plus réussie", que ce soit pour glorifier le plus possible l’œuvre de Vladimir Poutine à moins d’un mois de sa réélection assurée, ou pour continuer à décourager l’armée ukrainienne.

Le flou de la bataille de Krynky, sur le Dniepr

Dans la foulée de sa victoire à Avdiivka, l’armée russe a cherché à marquer le coup, revendiquant ce mardi la reprise du village de Krynky, sur la rive occupée du Dniepr dans le sud de l’Ukraine, où l’armée de Kiev avait difficilement bâti une tête de pont en octobre dernier.

Carte de la ligne de front autour de la ville de Krynky, au bord du Dniepr, en Ukraine

Carte de la ligne de front autour de la ville de Krynky, au bord du Dniepr, en Ukraine

© / AFP

Une information directement démentie par les forces ukrainiennes ce mercredi, alors que cette fragile tête de pont est l’une de rares avancées de la contre-offensive estivale, "Les dirigeants militaires et politiques du pays agresseur ont annoncé la prise de la tête de pont sur la rive gauche du fleuve Dniepr. Nous disons officiellement que cette information est fausse", a indiqué le commandement sud des forces ukrainiennes sur les réseaux sociaux. De son côté, l’ISW a affirmé n’avoir pas observé de "preuve visuelle" d’une avancée russe à Krynky, et les images et informations disponibles suggèrent que les forces ukrainiennes maintiennent une tête de pont "limitée" dans la zone.

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Comme à Avdiivka, cette victoire serait pour Moscou très largement symbolique, afin de montrer une armée russe dynamique et à l’offensive. Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a ainsi qualifié la prétendue prise russe de Krynky comme la "fin officielle de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023". Mais la stratégie pourrait également se retourner contre Moscou, "en créant des attentes que son armée pourrait échouer à satisfaire", poursuit l’ISW.

Des combats qui se poursuivent dans le reste du pays

"La situation est extrêmement difficile sur plusieurs points de la ligne de front, où les troupes russes ont concentré un maximum de réserves" a admis lundi soir Volodymyr Zelensky. Car au-delà des situations extrêmement tendues à Avdiivka et Krynky, les combats se poursuivent toujours un peu partout sur la ligne de front. Selon son rapport quotidien du lundi 18 février, l’ISW a estimé que "les retards de l’aide occidentale aident probablement la Russie à lancer des opérations offensives opportunistes dans plusieurs secteurs de la ligne de front, pour maintenir la pression sur les forces ukrainiennes." Que ce soit autour de Kupiansk, ville prise par la Russie au tout début de son offensive mais depuis recapturée par l’Ukraine ; autour de Bakhmout, où les combats font toujours rage ; mais aussi dans le secteur de Robotyne, dans la région de Zaporijia : l’ISW met en avant plusieurs lignes de front où l’armée ukrainienne pourrait être mise en difficulté par le manque de munitions et d’armement, notamment pour faire face aux bombardements russes.

Carte des zones contrôlées par les forces ukrainiennes et russes en Ukraine au 20 février 2024

Carte des zones contrôlées par les forces ukrainiennes et russes en Ukraine au 20 février 2024

© / AFP

De quoi toujours faire revenir au même point : l’Ukraine peut-elle continuer à tenir sans un soutien occidental pérenne et bien plus conséquent ? Rien que sur la bataille d’Avdiivka, le commandant adjoint ukrainien Rodion Kudriashova a affirmé que l’armée russe disposait de capacités d’artillerie onze fois supérieures à celles des forces ukrainiennes. Dans les douze jours qui ont précédé la chute de la ville, les forces de Moscou ont également largué chaque jour près de 60 bombes aériennes massivement destructrices. La bataille se serait terminée "tout à fait différemment" si les forces ukrainiennes avaient disposé de plus d’équipements et de munitions, a poursuivi le militaire ukrainien.

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Avec l’aide américaine toujours gelée par le Congrès, l’aide européenne jugée par beaucoup insuffisante, l’évolution du front dans les prochains mois dépendra en grande partie de la capacité des Occidentaux à continuer à supporter et à approvisionner en armes et en munitions l’armée ukrainienne. Moscou et Kiev "font la course pour reconstruire leur capacité offensive. Si les fonds occidentaux ne sont pas débloqués, si la Russie prend l’avantage d’une manière ou d’une autre, elle aura la possibilité de faire de nouveaux progrès", explique à l’AFP Andrea Kendall Taylor, chercheuse au Center for New american security, basé à Washington. "La dynamique a changé", estime cette analyste, soulignant que "du point de vue de Poutine, 2024 est une année cruciale". A l’Occident de lui prouver le contraire.

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