Législatives : comment éviter les blocages à l'Assemblée nationale avec une majorité relative ?
Un seul gouvernement s'est trouvé en situation de devoir gouverner avec une majorité relative en plus de soixante ans de Ve République et quinze législatures. Mais à l'époque, les Premiers ministres socialistes bénéficiaient d'un article 49.3 très puissant. Son emploi a, depuis, été très limité.
Par Paul Turban
245 députés sur 577, soit une majorité relative des sièges. Au lendemain du second tour des élections législatives, le ciel s'est fortement obscurci pour l'exécutif. Avec, menaçant, le risque d'un blocage institutionnel sans précédent sous la Ve République. Et des armes bien faibles pour forcer la main aux députés.
Une telle situation n'était arrivée qu'une seule fois depuis 1958. En 1988, le président François Mitterrand réélu avait dissout l'Assemblée nationale. Les socialistes et leurs alliés n'avaient alors obtenu que 275 sièges au Palais-Bourbon, soit moins que la majorité absolue de 289 députés. Durant cinq ans, Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy avaient dû s'appuyer sur ce Parlement pour mener à bien leur politique.
Une opposition nettement majoritaire
Premier enseignement de la comparaison, la majorité relative de François Mitterrand en 1988 était bien plus puissante que la nouvelle majorité d'Emmanuel Macron . Avec 275 députés socialistes en 1988, il ne manquait « que » 14 députés au gouvernement pour dégager une majorité. Les différents Premiers ministres se sont ainsi tantôt appuyés sur les 27 communistes, tantôt sur les 40 centristes que siégeaient de part et d'autres du groupe socialiste.
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Pour Elisabeth Borne , la tâche s'annonce plus ardue. Pour atteindre la majorité absolue sur un texte, le gouvernement va devoir convaincre 44 députés. Cela signifie convaincre la moitié des députés de droite . Pour passer un texte avec le flanc gauche de la majorité, il faudra rallier un quart des élus parmi les 131 de la Nupes et les 22 divers gauche.
À noter que la Constitution, en 1988 comme aujourd'hui, prévoit que chaque député est complètement libre de ses votes, à chaque instant. Si certains groupes appliquent une discipline de vote, c'est-à-dire que tous les membres du groupe sont tenus de voter de la même manière, cette consigne de vote est un engagement moral : un député peut en conscience y déroger.
Le 49.3 pour dépasser les blocages...
Si, malgré ses efforts, l'exécutif n'arrive pas à obtenir une majorité sur un texte, il lui reste l'article 49.3 de la Constitution. Dans ce cas, le gouvernement engage sa responsabilité sur le projet de loi : la mesure est adoptée sauf si, dans les 24 heures, une majorité des députés vote une motion de censure. Le gouvernement est alors renversé et doit démissionner.
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Du pain béni en période de majorité relative : Michel Rocard l'a utilisé 39 fois en trois ans, Edith Cresson 8 fois en moins d'un an et Pierre Bérégovoy 3 fois en moins d'un an. Cela leur a notamment permis d'adopter les budgets, la création du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou encore de l'Agence du médicament.
La force de cette arme repose sur l'incapacité des oppositions à s'entendre pour voter ensemble contre un gouvernement. Aucune utilisation du 49.3 n'a conduit à l'adoption d'une motion de censure. Le gouvernement n'a d'ailleurs été renversé par une motion de censure qu'une seule fois en dehors du 49.3 : en 1962, lorsque le gouvernement a annoncé le référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel.
… mais fortement affaibli depuis 2008
Or, depuis 1988, le recours au 49.3 a été fortement encadré. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 , il ne peut plus être utilisé que sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale, ou, en dehors de ces cas, une seule fois par session parlementaire. Or, depuis 1995, il n'y a plus qu'une seule session parlementaire, qui court d'octobre à juin, contre deux avant. Donc un seul recours au 49.3 n'est possible hors texte budgétaire durant cette période.
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A cela s'ajoutent les sessions parlementaires extraordinaires. Elles peuvent être convoquées par le Premier ministre, de juillet à septembre. Les députés se rassemblent alors, pour douze jours maximum, sur un ordre du jour défini par avance. Et avec, à chaque fois, un recours possible au 49.3. Mais cela ne paraît pas suffisant pour gouverner à long terme. L'exécutif va donc devoir se montrer très convaincant, avant, peut-être, que le président de la République ne décide de dissoudre l'Assemblée nationale.
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Paul Turban