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"Du grand n'importe quoi": quand I'ascension de l'Everest par Inoxtag agace les professionnels de la montagne

Le youtubeur Inoxtag est en route pour escalader l'Everest. Un défi fou, loin de faire l'unanimité chez les alpinistes qui dénoncent une marchandisation du Toit du monde.

Il y a un an, le vidéaste Inoxtag s'est lancé un défi fou: gravir l'Everest, haut de près de 9.000 mètres. Dans une vidéo Youtube, il détaille son projet à grand renfort d'effets spéciaux et de musiques entraînantes, dignes d'un blockbuster hollywoodien.

"Je veux réaliser un défi qui peut paraître inconscient, mais dont je rêve depuis longtemps. Le Toit du monde, un entraînement de toute une vie que je dois faire en un an", s'enthousiasme le youtubeur gaming dans la publication, vue par 6 millions d'internautes. Le tout, sans aucune expérience en alpinisme.

Depuis, Inès Benazzouz, alias Inoxtag, s'est entraîné d'arrache-pied. Il a notamment gravi le Mont-Blanc en France ou le Servin en Suisse. Pourtant, le projet continue de cristalliser les tensions chez les alpinistes.

Une perte de sens

"C'est du grand n'importe quoi!", s'exclame Pascal Tournaire, photographe habitué de l'Everest. Celui qui a gravi le plus haut sommet du monde en 1988 dénonce une exploitation commerciale. "La plupart des gens qui vont là-bas ne s'intéresse pas à la montagne et veulent faire le sommet, rien que pour l'ego."

"Et puis, quel intérêt?", s'interroge le professionnel des hauts sommets. "N'importe quelle célébrité peut gravir l'Everest, il suffit d'y mettre les moyens." En moyenne, comptez 41.000 à 128.000 euros pour monter l'Everest. Inoxtag, lui, a déboursé entre 600.000 et 1,2 million d'euros, en partie financer grâce à des sponsors comme Nike ou la marque de gourde Airup. "C'est désolant. Surtout quand on sait que certains alpinistes peinent à trouver des sponsors pour se financer." Difficile dans ce contexte de voir débarquer des influenceurs sur les sommets, principalement motivés par les vues.

"C'est l'illustration de la marchandisation de l'Everest", fustige son ancien coéquipier, Marc Batard. Car le sommet est victime de son succès. Depuis une dizaine d'années, le tourisme d'altitude s'est accéléré. Rien qu'en 2022, le Toit du monde a été gravi près de 700 fois. "Résultat, il y a trop de monde. Et qui dit surpopulation, dit pollution et hausse du nombre d'accidents".

"Bien sûr, grâce à Inoxtag, on parle de la montagne positivement, notamment auprès d'une audience plus jeune. Mais le risque, c'est que ses vidéos incitent d'autres personnes à venir tenter l'ascension", poursuit l'alpiniste, surnommé le "sprinteur de l'Everest". En effet, sur les réseaux sociaux, les réactions enthousiastes de la communauté du youtubeur ne se font pas attendre.

"Franchement ce mec c'est vraiment la personne dont tout le monde devrait prendre exemple sérieux", écrit un internaute en commentaire. "Fréro, c'est incroyable ce que tu fais. Tu vas donner de l'espoir à plein de gens, c'est ouf", publie un autre. "On dirait que tu pars en vacances. Bonne chance goat", ajoute un utilisateur.

Une pratique à l'opposée des défis sur internet

Pour Marc Batard, la pratique de l'alpinisme s'inscrit donc à l'opposé des défis que mettent en avant les vidéastes. "On est très loin des valeurs de l'alpinisme. Là, on va polluer la montagne pour un gars qui va venir une seule fois", s'indigne-t-il.

Un constat partagé par Pasal Tournaire. "On défend une pratique en accord avec l'environnement. C'est une expérience qui demande du temps et beaucoup d'engagement. Loin de toutes ces personnes qui gravissent la montagne par ego, ou simplement pour poster une photo sur les réseaux", se désole-t-il.

"Moi aussi, j'étais réticent au début. J'étais un des premiers à critiquer", admet Mathis Dumas, le guide de haute montagne qui a entraîné Inoxtag. "Un youtubeur, ça sentait forcément le coup de communication. Mais en apprenant à le connaître, je me suis rendu compte qu'il avait une vraie démarche réfléchie derrière."

Faire passer le bon message

"Beaucoup de businessmen ne savent pas mettre de crampons ou de mousquetons. Inoxtag, lui, est totalement autonome en montagne, il s'y intéresse", insiste celui qui est également photographe. "On est loin du caprice. Après l'Everest, il va continuer à faire de la montagne."

Le guide espère également que le vidéaste gaming utilisera son influence auprès de ses 7,5 millions d'abonnés pour faire passer un message. "Il peut faire la différence. Il est écouté par les jeunes, contrairement à nous, les alpinistes. Tout dépend donc, du ton employé par le créateur de contenu. Dans ses vidéos sur le sujet, Inoxtag oscille d'ailleurs entre le divertissement et des publications plus sérieuses, informant sur les risques de la montagne.

De son côté, le youtubeur assure garder les pieds sur terre. "Je vais prendre le moins de risques possibles. Je vais m'entourer correctement. Les gens me connaissent comme quelqu'un de buté. Mais s'il faut redescendre parce que c'est dangereux, je redescendrai", promet le youtubeur dans l'émission Twitch Popcorn.

Le touche-à-tout de 22 ans et son équipe sont partis le 10 avril pour le Népal. La grande ascension de l’Everest est prévue au début du mois de mai.

Salomé Ferraris